"Alitalia devenant une compagnie régionale d'Air France, ce n'est pas la logique de la cession"

Alessandro Bianchi, ministre italien des Transports, privilégie une fusion d'Alitalia avec une autre compagnie aérienne italienne plutôt qu'un rachat par Air France, dans le cadre de la vente d'Alitalia par l'Etat italien. Dans un entretien exclusif à La Tribune, le ministre italien révèle aussi les nouvelles règles du secteur aérien italien qu'il présentera demain mardi en conseil des ministres.

La Tribune.- Quelles sont, d'après vous, les raisons du désastre de la compagnie aérienne nationale Alitalia qui accumule les pertes?

Alessandro Bianchi.- Les raisons sont multiples et anciennes: l'absence d'autonomie de la compagnie notamment vis-à-vis du monde politique, une série de managers à la tête de la compagnie qui n'ont pas été à la hauteur de la situation et une difficile gestion des rapports aux personnels de vol et de terre, personne n'ayant plus en tête l'intérêt commun.

Enfin, le transport aérien a évolué très rapidement ces dix dernières années, notamment après le 11 septembre, et ces changements n'ont pas été suivis et règlementés, contrairement par exemple à la France qui a été très attentive aux difficultés d'Air France. Ce n'est qu'il y a deux mois que le gouvernement italien a fait de même après des années de déclin coûteux d'Alitalia.

Quel type d'acquéreur recherchez vous pour Alitalia?

Avec cet appel d'offres, les acquéreurs que nous recherchons sont de vrais entrepreneurs et non des financiers, car ils devront s'engager pour au moins deux à trois ans. Il ne s'agit pas de faire avec Alitalia une affaire de raider de la finance internationale: acheter et revendre un peu plus tard avec un gain. Nous avons besoin de gens qui raisonnent en termes d'entreprise et pas de finance.

Etes-vous déjà en contact avec des candidats sérieux à la reprise de la compagnie?

Le président du Conseil, Romano Prodi, a déjà indiqué qu'il a des contacts tant avec des entrepreneurs sérieux prêts à investir qu'avec des compagnies aériennes. Il y a un certain intérêt pour cette opération et il est plus probable que se constitue un groupe d'industriels nationaux intéressé, plus à même que des étrangers d'être conscients du contexte et de vouloir faire une opération d'une certaine importance dans leur pays. Je ne vois en fait pas autre chose qu'un, deux ou trois entrepreneurs sérieux accompagnés par la couverture d'une banque mettant à leur disposition les fonds nécessaires. J'exclurai qu'Alitalia soit vendue à des fonds d'investissement internationaux, ce qui serait la logique inverse des entrepreneurs.

Vous-même avez évoqué un rachat d'Alitalia par une des compagnies concurrentes en Italie comme Air One...

Personnellement, je pense en effet que ce serait une bonne chose d'agréger Alitalia avec une des plus importantes compagnies aériennes italiennes comme Air One ou Meridiana: ensemble, elles disposeraient de 80% des routes aériennes nationales. Et il n'est pas sûr qu'il y aurait ainsi entorse à la libre concurrence. Il faut voir.

En somme, ce serait comme jadis en France le rachat d'Air Inter par Air France?

Vous l'avez fait et personne n'a dit que vous dérogiez aux règles de la concurrence, car le sens de la chose publique en France est beaucoup plus développé qu'en Italie.

Qu'en est-il des chances d'Air France d'acquérir Alitalia via cet appel d'offres?

Parlons clair: Air France aurait volontiers acheté Alitalia au prix le plus bas possible et elle en aurait fait sa compagnie régionale, avec seulement des vols Paris-Rome et Paris-Milan et des vols intérieurs mais cela n'est pas la logique de l'opération que nous lançons, qui est de restituer à l'Italie sa compagnie nationale.

Certes, les alliances d'Alitalia [NDLR: avec Air France et Skyteam] pourraient être une contrainte pour l'acquéreur ou plutôt pour l'Etat devant rompre un pacte signé. J'ai entendu parler de cette pénalité de 200 millions d'euros en cas de sortie du pacte avec Air France. Mais ce n'est pas un chiffre qui nous ferait, le cas échéant, renoncer à l'opération.

Est-il nécessaire dans ce contexte de spécialiser les actuels deux grands aéroports italiens d'Alitalia, Milan-Malpensa et Rome-Fiumicino?

Ce sont des décisions que prendra l'acquéreur d'Alitalia. Le conflit entre ces deux aéroports est un faux problème: le hub est déterminé par la compagnie elle-même. Il reste que l'Italie a investit des milliards dans ces deux aéroports et on ne jette pas l'argent par les fenêtres, il faut leur trouver un rôle. Le problème est plus la coexistence des deux aéroports de Milan [NDLR: Malpensa et Linate]. Linate doit devenir un aéroport de ville, un "city airport", et Malpensa faire autre chose.

L'acquéreur d'Alitalia devra surtout nous dire que la compagnie va reconquérir la prédominance sur le marché aérien national, à hauteur de 70 à 80% de parts de marché à l'instar d'Air France ou Lufthansa sur leurs marchés nationaux, et aussi qu'Alitalia se développera sur les routes intercontinentales qui seront à l'avenir les plus rentables. Sans ces deux éléments écrits dans le plan industriel de l'acquéreur d'Alitalia, il me semble difficile de remporter l'appel d'offres.

Et si au bout du compte aucune des offres présentées ne vous satisfaisait?

C'est le pire des scénarios imaginables. Mais laissez nous travailler: nous ferons tout pour qu'il y ait des réponses intéressantes, sinon nous serions dans une situation encore plus difficile que celle d'aujourd'hui.

Vous allez présenter demain mardi en conseil des ministres une réforme du fonctionnement du secteur aérien en Italie, quel est le lien avec la procédure autour d'Alitalia?

Cette réorganisation aurait été nécessaire même si nous n'avions pas eu le problème d'Alitalia. Mais la désorganisation totale du secteur en Italie, comme le manque de règles sur l'octroi de droits d'atterrissage (slots) et la faible efficacité des contrôles, ont causé du tort à Alitalia et aggravé sa situation. En améliorant ce contexte on peut recréer des conditions dans lesquelles une Alitalia assainie financièrement et avec un bon plan industriel peut se remettre sur pied, sans craindre de nouveaux effets négatifs.

Tous les problèmes seront abordés dans notre projet de loi: aéroports, droits d'atterrissage, autorité de contrôle, concessions d'aéroport. S'il est, par exemple, peu probable de révoquer une concession d'aéroport en cours, il doit y avoir de nouveaux comportements pour le présent et le futur. Je crois qu'une concession d'aéroport de quarante années, comme c'est le cas actuellement, est une durée trop longue. Un temps plus bref serait meilleur.

En tout cas, le respect du pacte de concession doit être contrôlé. Or aujourd'hui, une fois signée la concession, l'Etat ne contrôle plus rien. Les autorités de contrôle comme l'ENAC (Office national de l'aviation civile) n'ont pas les moyens efficaces pour intervenir, c'est une des choses à lesquelles nous voulons remédier.

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