"Le Liban ne vient pas chercher de l'aide financière mais un soutien pour l'aider à reconstruire et réformer son économie"

Le ministre des Finances libanais revoit les prévisions de croissance à la hausse. L'impact de la guerre sur les infrastructures est revu à la baisse, à 2,5 milliards de dollars. Le pays souhaite privatiser télécommunication, transport eau et énergie. Le gouvernement n'a aucune intention de se déclarer en situation de défaut. Une conférence d'aide internationale de Paris, prévue fin janvier, se penchera sur la façon d'aider le pays à se réformer en réduisant le fardeau de sa dette et de son déficit

La Tribune - Comment l'économie libanaise a-t-elle encaissé l'offensive militaire israélienne sur le Sud Liban ?
Jihad Azour - En dépit de sa vulnérabilité, le pays a montré sa capacité à surmonter le choc, grâce au chemin parcouru au cours des douze derniers mois. Rappelez-vous que lorsque ce gouvernement a été formé, en juillet 2005, la situation économique était des plus difficile : perte totale de la croissance, taux d'intérêts de près de 5 %, envol du déficit public... Par comparaison, à la veille des événements de juillet dernier, l'économie avait progressé de plus de 6 % et l'on prévoyait alors 7 % pour l'ensemble de l'année. De même, le déficit de la balance des paiements, de 1,5 milliards de dollars s'était transformé en un excédent de 2,5 milliards en dépit de la hausse de la facture pétrolière, ce qui montre l'importance des capitaux ayant afflué vers le pays. Nous étions enfin parvenus à inverser la tendance du déficit public.

Certes, le choc économique de la guerre a été terrible. Près d'un cinquième de la population a été déplacée, cent vingt ponts détruits. Au cours du conflit nous avons cependant pu maintenir la stabilité financière du pays : les taux n'ont guère augmenté, les sorties de capitaux ont été moindre qu'après l'assassinat du président Hariri et l'envol de l'inflation a été jugulé en dépit du blocus. En trois mois, les conditions de la reprise sont déjà visibles. Alors que le FMI nous promettait un recul de la croissance compris entre -1 % et -5 % pour l'ensemble de l'année 2006, nous attendons une croissance nulle. Le tourisme a également connu une bonne reprise au cours du Ramadan et la fin d'année semble prometteuse.

- Quelle sont les dernières évaluations du coût de ce mois de guerre ?
- En ce qui concerne la reconstruction des infrastructures et des habitations détruites, les estimations formulées au mois d'août esquissaient une facture de 3,6 milliards de dollars. Les dernières évaluations dessinent plutôt un effort de l'ordre de 2,5 milliards. L'impact sur les finances publiques reste de son côté évalué entre 1,2 et 1,4 milliards, un chiffre qui pourrait être revu à la baisse en fonction du retour de la croissance. Cette dernière - ainsi que le programme de relance du secteur privé mis en place - pourront également aider à la résorption du manque à gagner lié à l'interruption de l'activité économique cet été, qui représente 8 % du PIB.

- Comment va s'articuler l'effort de reconstruction ?
- Tout d'abord, jusqu'en décembre, la reconstruction d'urgence et le rétablissement des services publics comme l'eau, l'électricité ou le trafic routier. La rentrée scolaire a ainsi pu prendre place dans le Sud au même moment que dans l'ensemble du pays. Le trajet entre Beyrouth et Tyr, qui prenait jusqu'à sept heures au lendemain de la guerre, est revenu à la normale. Une deuxième phase concernera la reconstruction des infrastructures touchées. Enfin une troisième étape, celle des réformes, confirmera la renaissance de l'économie libanaise.

- Quels seront les objectifs de la conférence internationale pour la reconstruction du Liban - la troisième de ce type - qui doit se tenir fin janvier à Paris ?
- Celle-ci aura davantage pour but d'aider le Liban à reconstruire son économie - en l'aidant à réduire sa dette et son déficit public à un niveau soutenable - que d'attirer de l'assistance financière. En réalité, notre volonté n'est pas de chercher des entrées de capitaux nettes sous forme d'aide. Le Liban n'est pas un pays qui a des besoins financiers énormes ou des problèmes de solvabilité. N'oubliez pas que, depuis la guerre, les capitaux amenés par des investisseurs étrangers ont été deux fois plus importants que l'aide internationale accordée.
L'objectif reste surtout de restaurer la confiance, afin de permettre la mise en place un programme de réforme crédible : privatisations - en particulier dans les transports et les communications mais également l'eau et l'énergie - et mise en place d'un filet de sécurité sociale pour les groupes les plus vulnérables.

- Vous venez de rencontrer votre homologue à Paris. Quelle a été la contribution évoquée pour la France ?
- Aucun montant global n'a encore été évoqué, donc pas davantage en ce qui concerne la France.

- Le Liban est actuellement plongé dans une grave crise politique [le chef du Hezbollah chiite, Hassan Nasrallah, a demandé dimanche à ses partisans de se "tenir prêts" à manifester pour précipiter la chute du gouvernement de Fouad Siniora, ndlr]. Ce climat tendu n'augure-t-il pas mal de la tenue de cette conférence de "Paris III" ?
- Le climat politique actuel n'est évidemment pas propice à une telle conférence, pas plus qu'à la relance économique. Reporter la conférence ne servirait cependant en rien le pays, d'autant plus que l'engagement que nous voulons proposer à la communauté internationale se situe sur le moyen terme. Le choc de la guerre a été fort, mais il n'est dans l'intérêt de personne, même du Hezbollah, de déstabiliser le pays et d'interrompre l'effort de reconstruction. Je note que dès le début de la guerre, beaucoup de monde doutait de la capacité de ce gouvernement à encaisser le choc. Le Liban surprend pourtant toujours ! A mon sens cette crise politique peut être résolue.

- La dette du pays fait peser un fardeau très lourd sur votre économie... envisageriez son rééchelonnement, voir votre mise en situation de défaut ?
- Atteignant 39,6 milliards de dollars, soit 170 % du PIB, cette dette apparaît, certes, très élevée. Nous pouvons néanmoins la supporter grâce à des poumons financiers beaucoup plus important que d'autres pays : le total des dépôts bancaires atteint ainsi trois fois la taille de notre économie. Si nous ne nions pas ce handicap nous espérons pouvoir le surmonter, notamment en réformant les finances publiques. L'objectif est de passer d'un déficit à un surplus primaire du budget de 7 à 8 %, les recettes tirées des privatisations devant également permettre de réduire l'encours de cette dette.

Un autre moyen reste de favoriser la croissance, ce qui est possible dans une région bénéficiant d'une telle manne [les pétrodollars arrosant le Moyen-Orient, ndlr]. Enfin l'assistance internationale permettra de réduire le poids du service de la dette et de dégager une marge au système financier, afin que celui-ci puisse participer à la reconstruction.

Il n'est donc pas question de se déclarer en situation de défaut ou de restructure la dette de manière contraignante. Ne serait-ce parce que la majorité de ces emprunts ont été souscrits avant tout par des épargnants libanais, ce qui toucherait durement leur pouvoir d'achat... De toute façon, le Liban ne l'a jamais fait et se fait un devoir d'honorer ses engagements. La partie de la dette contractée à l'internationale reste de toute façon réduite limitée - de l'ordre de 3 milliards de dollars - et nous n'envisageons pas davantage son rééchelonnement.

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