Moby Dick, la baleine change de sexe

Une nouvelle traduction du chef d'oeuvre d'Herman Melville, plus précise, plus détaillée, plus vivante et dans laquelle la baleine devient cachalot-

Si "Moby Dick" est un classique de la littérature américaine, cette épopée ne l'a pas toujours été. A sa sortie en 1851, et jusqu'aux années 1950, c'était un ouvrage oublié, voire même négligé. Car la carrière d'Herman Melville n'aura été qu'une longue descente aux enfers, puisque après avoir connu le succès dès ses premiers livres (Taïpi et Omou), tous ses ouvrages successifs ont été publiés dans l'indifférence de plus en plus générale et il mourut inconnu et ruiné.

Ce qui est désormais son chef d'oeuvre n'aura été apprécié qu'après la seconde guerre mondiale, quand les Américains se sont penchés sur leur propre histoire. En France, c'est à la même époque que Jean Giono en réalise une traduction, qui jusqu'à aujourd'hui, se décline dans toutes les versions, de l'édition richement illustrée au simple format de poche.

Fort de sa capacité à faire de ses publications "la" référence littéraire, la Pléiade vient de publier une nouvelle version sous la houlette de Philippe Jaworski. Cette remarquable traduction bouleverse la lecture de ce roman, destiné davantage à un public d'adultes que d'adolescents comme c'est trop souvent le cas. Car le récit de Melville "ne s'adresse pas aux gringalets". Il y a certes, la lutte acharnée à travers les océans du capitaine Achab qui entend se venger du cétacé qui lui a fait perdre une jambe, une dérive qui fait le sel de cet ouvrage.

Mais on est autant dans la folie humaine que dans l'épopée épique d'une corporation bien ancrée dans ses traditions, les chasseurs de baleine: il faut attendre la moitié du récit pour que l'on parle harpon et tempête, car tout le début n'est que description détaillée d'un monde disparu, la pêche en canot du siècle passé ainsi qu'une l'histoire naturelle des cétacés ou le mode d'emploi des divers usages de la graisse de baleine. Cet ouvrage est un détonnant mélange de fiction et de réalité.

Et c'est là qu'intervient, avec talent, le travail de traduction, tant les termes techniques ont été galvaudés, voire arrangés dans les précédentes versions. Il ne s'agit plus de rames, mais d'avirons, plus de jets mais de souffles, et surtout plus de baleine, mais de cachalot. Une différence anatomique qui change tout, car ce dernier a des dents, et s'avère cruel, alors que la première a des fanons qui la rendent inoffensive. Ici, donc, la baleine change de sexe. "Le cachalot est du genre masculin", note Jaworski, et "Dick est le diminutif de Richard". De créature sauvageonne, la masse aquatique devient monstre, et toute la lecture s'en trouve modifiée car, en plus, dans cette version, les anciennes éructations d'Achab se civilisent puisque que "si les dialogues peuvent être brutaux, ils ne sont jamais orduriers". Bref, une nouvelle (et formidable) lecture de "Moby Dick".


"Oeuvres III, Moby Dick et Pierre ou les ambiguïtés" de Herman Melville. Gallimard, La Pléiade, 1410 pages, 53 euros jusqu'à la fin de l'année, 60 euros ensuite.

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