L'URSS dans l'objectif

La galerie du passage du Retz à Paris présente une exposition exceptionnelle de photomontages soviétiques.

Armer chaque soldat d'un fusil et d'un appareil photo? Lénine en rêvait. Faute de moyens, son idée n'a jamais vu le jour. Ce qui n'a pas empêché la photo de s'imposer, en Union Soviétique, comme une arme visuelle savamment maniée par les plus grands artistes, à l'instar d'Alexandre Rodtchenko, le maître du constructivisme. En témoigne cet ensemble exceptionnel de photomontages originaux réalisés entre 1917 et 1953, présentés en France pour la première fois à la Galerie du Passage du Retz à Paris.

Tout commence pendant la première guerre mondiale. Le chaos, né de ces massacres sanglants, réclame un nouveau langage pour rebâtir le monde. Accessible à tous dans un pays où l'illettrisme touche 70% de la population, considérée par beaucoup comme une preuve irréfutable de la réalité mais néanmoins moyen idéal pour maquiller la vérité, le photomontage s'impose comme l'outil adéquat.

Les premiers à s'en servir ne le font pourtant pas dans un but politique mais artistique. Empruntant au futurisme, au dadaïsme, au cubisme, au cinéma, Rodtchenko commence par illustrer des poèmes de Maïakovski en 1923. Piotr Galadjev compose des images surréalistes où se mêlent un biplan, une motocyclette, une statue antique ou un couple d'amoureux.

Soucieux de construire un monde meilleur, ces artistes n'hésitent pas à mettre leur talent au service du nouveau régime. Comme pour cette affiche concoctée par le maître du constructivisme, opposant des paysans pauvres à des scientifiques sous un titre explicite "quand on est illettré, on sue deux fois plus..." (1924).

Au fil des mois, seule la propagande a droit de cité, portée par une esthétique articulée autour d'une composition dynamique, lisible par tous. Les photographes, salariés par l'Etat, sont appelés à vanter l'électrification du pays ou le dévouement de l'Armée Rouge.

Peu à peu, l'ouvrier, le soldat et le paysan des débuts disparaissent de l'image pour laisser place à Staline. Jusqu'à cette carte réalisée par Maria Kalashnikova en 1952, d'un kitsch affligeant, figurant le petit père des peuples devant le Kremlin sous la neige. Les quelques grands noms du médium ayant survécu aux purges et aux internements des années 1930 n'avaient pour la plupart plus le droit d'exercer. Victimes, pour beaucoup, de la campagne anticosmopolite. Parce que juifs.

Photomontages soviétiques, 1917-1953, une arme visuelle. Passage du Retz, 9 rue charlot, 75003 Paris. Tel : 01 48 04 37 99. Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 19h. entrée: 8 euros. A lire: Une arme visuelle, le photomontage soviétique, édition Musée de la photographie de Moscou, 144p., 30 euros. Rodtchenko et le Groupe Octobre, d'Alexandre Lavrentiev, éditions Hazan, 352p., 45 euros.

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