Yannick d'Escatha, président du CNES : "la présence de l'Etat dans Arianespace est utile aux intérêts de la filière Ariane"

Le président du CNES, le Centre national d'études spatiales, Yannick d'Escatha, annonce à La Tribune qu'il n'est plus question de changement d'actionnariat dans le capital d'Arianespace. Il précise également que Arianespace ne sera pas recapitalisé en 2006. Il fait le point sur les futurs enjeux dans le domaine des lanceurs, sur le redressement financier et économique du CNES.

La Tribune : La société Arianespace doit-elle être recapitalisée comme il était prévu en 2006 ?
Yannick d'Escatha : L'Etat actionnaire considère que la situation d'Arianespace est bonne. Il appartient à l'Etat de se déterminer sur une éventuelle augmentation de capital en fonction de paramètres financiers et industriels sans qu'il y ait urgence. Il n'y a donc pas aujourd'hui de recapitalisation prévue pour 2006. Il n'y a pas non plus d'obligation puisque les fonds propres sont positifs. Il n'y a pas de besoin immédiat à court terme.

Le tour de table doit-il évoluer ?
Il est aujourd'hui consensuel pour tous les actionnaires. L'Etat considère qu'Arianespace est une société importante dans laquelle la présence de l'Etat, qui détient via le CNES une participation de 34 % dans la société de tête Arianespace Participation, est utile aux intérêts de la filière Ariane.

Le lanceur de grande capacité Ariane 5 ECA est aujourd'hui stabilisé. Est-il possible d'accroître les cadences de lancement ?
Depuis l'échec du vol 517 en décembre 2002, il y a eu 15 lancements d'Ariane 5, dont 6 ECA. Ce que nous constatons c'est que, outre la mise sur orbite avec une précision exceptionnelle, le déroulement et les paramètres des vols ont été parfaits. Ce qui signifie que le système est bien conçu et le lanceur vole parfaitement. C'est l'élément fondamental qui va rendre possible la montée des cadences de production d'Ariane 5 ECA. Nous pouvons en tirer les dividendes en reproduisant de façon répétitive Ariane à l'identique en vue d'augmenter les cadences de production. Mais le goulot d'étranglement est du côté de la production dans le process industriel. Ce qui est normal puisque nous sommes en train de passer au stade de la production répétitive après avoir achevé le développement. En revanche, il n'y a pas de problème du côté de la base spatiale car elle est capable de lancer couramment avec un mois d'intervalle. Le carnet de commandes d'Arianespace devrait nous amener à 7 lancements par an. En 2007, je n'en jurerais pas. Car il n'y a pas que le lanceur, il y a aussi les satellites. Si nous ne faisons pas le sixième en 2006, cela tient aux satellites. Nous devrions pouvoir faire les 6 prévus l'an prochain, et, ensuite, monter à 7 en 2008.

Où en êtes-vous du maintien des compétences signés avec les industriels car Astrium Space Transportation explique qu'il n'a rien reçu ?
Nous avons fait entièrement en 2006 le programme de maintien des compétences industrielles que nous nous étions assignés. Nous avons signé avec les industriels des programmes de développement qui concourent au maintien des compétences stratégiques a minima. Nous les avons signé en 2005 et exécuté en 2006. Nous continuerons à les exécuter en 2007 et les années suivantes. Ces programmes sont signés et remplis.

Quels étaient les montants en 2006?
En moyenne, sur la partie télécom, les programmes sont de 33 millions d'euros par an. Côté lanceurs, c'est de l'ordre de 65 millions par an en moyenne (système, étages, propulsion). Nous avons signé en 2006 des programmes supplémentaires qui concourent au maintien de compétences dans les domaines scientifique, optique et télécom. Nous avons complètement "nettoyé" cet abcès important. Il fallait arriver à maintenir a minima le socle de compétences stratégiques de l'industrie malgré les fortes contraintes budgétaires.

Au-delà de ces accords, envisagez-vous des améliorations notables à mi-vie pour le lanceur Ariane 5 ECA ?
Il faut effectivement préparer le lanceur pour la deuxième moitié de sa vie. Pour cela, il faut d'abord régénérer toutes les obsolescences, et l'adapter à ce que seront les besoins du marché pour la deuxième moitié de sa vie. De toute façon, les développements continuent, ils n'ont jamais cessé. Sauf qu'on ne les implémente pas au fil de l'eau sur le lanceur. Nous avons stabilisé le lanceur, nous continuons le développement, et nous les implémenterons d'un coup - comme dans un grand carénage - sur le lanceur à mi-vie. Nous le requalifierons et ce lanceur repartira pour une deuxième vie. Et c'est là que nous aurons les gains de performance, le traitement des obsolescences, les systèmes de réallumage ou encore l'extension du domaine de vol.

Quel est le calendrier de ce grand carénage ?
Il n'est pas encore daté. Si nous considérons qu'Ariane 5 va vivre au-delà de 2020, ce sera en 2012 ou 2013. Ce sont des choses dont nous parlons maintenant très couramment, dans la logique des lanceurs du futur, avec l'ESA, les Allemands, les Italiens mais aussi avec la Suède, l'Espagne et la Belgique. Il faut arriver à mettre en commun tout ce que les partenaires d'Ariane ont de meilleur.

La prochaine commande du lot d'Ariane 5 ECA est-elle prête ?
Cette commande est une négociation strictement commerciale entre Arianespace et les industriels. La discussion porte essentiellement sur les gains de productivité. La stabilisation du lanceur permet la réduction des coûts. Les industriels ont signé en avril 2003 pour des gains de productivité de 10 à 12 % par rapport au lot précédent.

Comment va s'articuler le développement du lanceur du futur entre la Russie et l'Europe?
Quand nous ferons le lanceur européen du futur, ce sera sous la forme d'un programme ESA, point. Nous ne sommes pas en train aujourd'hui de faire le lanceur européen du futur, mais nous nous posons la question de savoir sur quoi et comment travailler dans tous les pays européens pour être capable, à l'horizon 2013, de définir ce que sera ce lanceur. Nous n'avons aucune idée de ce que sera le marché en 2020. Il faut prendre le temps de voir venir, de réfléchir sur ce que seront les technologies futures. Si aujourd'hui nous décidons d'y aller, nous referions ce que nous savons déjà faire. L'ESA devra coordonner le tout sinon cela ne marchera pas : nous ferons de très belles recherches, mais sans jamais déboucher sur un lanceur. C'est dans ce cadre là que nous allons échanger avec les Russes. Ce sont les rapports entre les industriels européens et les industriels russes qui définiront la façon concrète dont ce lanceur se fera.

Y aura-t-il un lanceur commun ?
Je ne sais pas. Là aussi, nous pouvons nous rapprocher de modèles connus par exemple pour les moteurs d'avions. Pour la partie amont, imagination au pouvoir, créativité, initiative, ruptures technologiques et systémiques. Après, les industriels - le noyau dur du futur lanceur - savent travailler ensemble. Nous savons bien que nous trouverons ce qui , à ce moment là, sera considéré comme la meilleure formule de coopération entre l'Europe et la Russie sur le sujet. Mais laquelle sera-t-elle, je l'ignore.

Le CNES est aujourd'hui une maison apaisée. Avez-vous le sentiment d'avoir atteint votre objectif en remettant le CNES sur les rails ?
La sérénité se construit car elle ne tombe pas du ciel. Après la crise que nous avons traversée en 2002, le CNES a bien reconstruit son avenir, notamment en repensant sa stratégie. Nous avons reconstruit une vision à long terme de la politique spatiale française dans le cadre européen et composé une programmation ambitieuse. Ce qui nous a permis de définir un nouveau contrat pluriannuel qui nous donne aujourd'hui cette visibilité stratégique à long terme ainsi qu'une garantie de ressources très importante pour tous nos programmes de long terme. Nous avons également pris des risques, notamment technologiques et en matière d'innovation. Car c'est le rôle du CNES de prendre ces risques que l'industrie n'est pas en mesure de prendre. En outre, la situation tant managériale que gestionnaire et financière est assainie - les comptes 2006 sont sains comme ceux de 2003, 2004 et 2005, où nous avons atterri à l'équilibre. Enfin, nous préparons l'avenir en permanence. Ainsi, nous allons tenir un séminaire de prospective en 2008 pour mieux définir cet avenir. Tous les projets seront mis en compétition selon la méthode d'objectivation du CNES "atout-attrait". Parallèlement, nous tenons dans le cadre de la vision à long terme, à avoir une certaine manoeuvrabilité pour ne pas nous trouver dans une position où tout serait totalement verrouillé. Le CNES doit être capable de prendre des initiatives et de construire des relations avec des nouveaux partenaires à tout moment. Le monde spatial change vite et nous devons absolument garder cette capacité de manoeuvre. Nous guettons surtout les "bons coups", les ruptures technologiques ou systémiques qui préparent l'avenir. Nous sommes dans une stratégie de niches, et, par conséquent, nous devons être capables de construire la niche stratégique qui se présente avec le bon partenaire.

Le CNES fonctionne-t-il comme une entreprise privée ?
Il fonctionne dans le cadre d'une gouvernance d'entreprise avec un conseil d'administration un comité d'audit qui jouent pleinement leur rôle. Le conseil décide de tout depuis le financement des programmes de l'ESA (Agence spatiale européenne) aux programmes multilatéraux, après examen détaillé des tutelles, Bercy nous surveillant de très près. Sur les modes de gestion, le CNES a gagné en performance en matière de gestion et de reporting avec des outils habituels des entreprises. Cela nous a permis de fournir l'ensemble des données au commissaire aux comptes dans le cadre d'un audit à blanc en 2005. Ils nous ont dit que nos comptes étaient certifiables. Et cette année, la CNES doit présenter des comptes certifiés conformément à la loi sur la sécurité financière pour les comptes de 2006.

Avez-vous gagné en efficacité ?
Au plan de la gestion, nous avons respecté notre engagement de rembourser le déficit de 35 millions d'euros de l'exercice 2002, par trois annuités de 10, 15 et 10 millions, versées en 2003, 2004, 2005. Aujourd'hui, nous avons donc apuré notre dette. Après remboursement de ces annuités, nous nous sommes trouvés à l'équilibre chaque année. Nous avons atteint tous nos objectifs. En 2006, nous sommes à l'équilibre, sachant que le solde de gestion est autour de zéro. Ce qui, par rapport à un budget de 1 milliard, témoigne d'une bonne maîtrise. Sur l'exercice 2006, tous les objectifs de production ont été atteints.

Pouvez-vous chiffrer les gains d'économies ?
Je vais vous donner quelques exemples. Nous devions maîtriser la masse salariale et ne pas dériver de plus de 1 % en euro courant. Nous avons maîtrisé la masse salariale. Les frais de fonctionnement devaient rester constants en euro courant. Nous faisons même mieux car nous avons fait un effort de réduction d'effectifs d'une vingtaine de postes par an. Nous avons aussi fait des efforts en matière d'économie de fonctionnement et de productivité. Nous avons complètement regroupé l'informatique et nous avons fait un appel d'offres pour externaliser l'infogérance. Ce contrat nous permet de réaliser une économie de 10 %. Nous avons remis en concurrence l'ensemble des contrats de la base spatiale de Guyane. Et là encore, nous avons gagné 10 % sur un total de 120 millions d'euros par an. Nous avions déjà fait une dizaine de pourcent depuis 2002. Nous avons fait mieux que ce qui figurait dans notre contrat. Toutes ces économies de fonctionnement ont été entièrement redistribuées vers la préparation de l'avenir : nous investissons plusieurs millions d'euros par an en Guyane où nous aurons besoin de financer le centre spatial qui vieillit, et à Toulouse. Mais l'essentiel est redistribué pour la Recherche & Développement (R&D) au sens large, à savoir dans la R&T (Recherche et Technologie) proprement dite, les démonstrateurs, les phases 0 et A des programmes (phases de recherche amont, ndlr). En 2005 nous avons affecté 75 millions d'euros pour les lanceurs et les satellites et en 2010, nous prévoyons 110 millions.

Quel est votre budget en 2007 ?
Nous allons affecter 685 millions d'euros à l'ESA, 702 millions aux programmes multilatéraux et nous disposons de 400 millions de recettes externes. Soit un budget de près de 1,8 milliard d'euros dont 200 millions de masse salariale tout compris (charges, provisions, retraites, congés payés, avantages du personnel). Aucune réduction budgétaire n'est à prévoir pour 2007. L'année prochaine, nous allons préparer notre programmation jusqu'en 2010 et même au-delà 2015-2025. Nous allons définir avec notre Comité des programmes scientifiques les priorités qui vont permettre à la communauté scientifique française de concourir pour les futurs appels d'offres de l'ESA pour la période 2015-2025. Dans l'ensemble des programmes en multilatéral, le grand public représente 7 %, le développement durable 18 %, les sciences et la R&D 24 %, la sécurité et la défense 23 % et enfin les lanceurs 28 %.

Certains vous reprochent une militarisation du CNES. Y a-t-il vraiment une montée en puissance des programmes militaires ?
Ils vont monter de 23 à 26 % de 2005 à 2010. Effectivement, le budget que la défense alloue au CNES permet d'accompagner cette augmentation. Au passage, dans tous nos programmes, nous gardons à l'esprit la dualité. Les programmes de défense ont un caractère civil par exemple Athéna (internet haut débit par satellite) qui sert les besoins de la défense et d'opérateurs de télécommunications civils. Et réciproquement : gardons présent à l'esprit le fait que l'espace est vraiment dual. Sur les 400 millions de ressources externes en 2007, une partie vient de la défense. Quand les besoins du ministère de la Défense excèdent la subvention qu'il donne au CNES, qui est de 165 millions d'euros par an, il paie en plus.

Quel est le fonctionnement entre l'ESA, l'Union européenne et les Agences nationales ?
Il faut définir la politique spatiale européenne, puis la programmation spatiale européenne. Cela avance bien. Depuis un an, les dossiers ont avancé de façon très constructive, notamment dans un groupe qui rassemble la Commission et l'ESA, chargé d'examiner la politique et la stratégie européenne. Cela commence à prendre forme et progresse de façon positive. Cela nous plait bien, nous nous rallions à ce qui est écrit. Restent maintenant les travaux pratiques. Après Galileo, l'Europe va gérer un programme majeur GMES. Si nous établissons une bonne façon de travailler sur GMES, elle sera applicable ensuite à tout le reste, que ce soit l'exploration, les lanceurs du futur ou autres.

C'est-à-dire ?
Il faut trouver une animation d'ensemble et donner à l'ESA le rôle de pouvoir l'organiser. En tant qu'agence spatiale européenne, l'ESA est un organe de gouvernance et de coordination de l'ensemble. L'ESA doit donc faciliter la répartition du travail. C'est ce qu'on appelle les coopérations renforcées dans le domaine européen, où il s'agit de se répartir les responsabilités au mieux en fonction des motivations, des moyens et des compétences.

Cela nécessite donc une cohérence stratégique entre l'Union européenne et l'ESA.
C'est pour cela qu'il faut au-dessus une politique spatiale européenne qui cadrera les priorités de GMES par exemple. C'est à la Commission de faire remonter les besoins des utilisateurs finaux car ils doivent être traités à l'échelle européenne. Seule la Commission a aujourd'hui la légitimité pour parler au nom des besoins des citoyens européens.

Un document de référence va-t-il sortir ?
Un document sur la politique spatiale européenne va paraître. Il devrait être adopté sous la présidence allemande de l'Union, c'est à dire au semestre prochain. Dans le cadre des bonnes relations stratégiques qu'entretiennent le gouvernement allemand et le gouvernement français, une proposition de politique spatiale européenne a été établie conjointement par les deux pays, et soumise à l'ESA, à l'Italie et aux autres Etats membres. Ce document a fait l'objet de discussions et a été plutôt bien accueilli.

Quel est la nature de ce document ?
Il définit bien les orientations et les concepts politiques. Après, on rentre dans le domaine de l'implémentation. C'est pourquoi je proposais, plutôt que de faire de la théorie en chambre sur les façons d'implémenter, de faire marcher GMES. Pourquoi cette idée de plate-forme vient-elle naturellement à l'esprit ? L'idée est de savoir comment nous travaillons tous ensemble avec une coordination ESA et la Commission européenne responsable des besoins des utilisateurs finaux. Je vais prendre l'exemple de la météo, parce que cela marche grâce à Eumetsat, qui est géré par 20 pays.

La plate-forme que vous proposez est-elle acceptée par tous les autres partenaires ?
C'est une proposition récente. Il est trop tôt pour dire si elle sera acceptée par tout le monde. Dans le cadre de ces réflexions, où l'imagination est au pouvoir, nous faisons cette proposition oecuménique. Car si nous voulons répondre aux besoins des utilisateurs finaux, il faut que la Commission les exprime et que chaque pays apporte ce qu'il a de meilleur pour y répondre. L'ESA apporte ses programmes et coordonne le tout. Il y a des discussions entre la Commission et l'ESA pour bâtir cette architecture. La Commission progresse dans ses réflexions sur la gouvernance mais sans les avoir encore formalisé. Ce sera à l'ordre du jour de 2007. J'ignore si cela sera prêt au premier ou au second semestre. Cela devra être clarifié dans le détail pour 2007.

Donc GMES est un programme structurant.
Le débat progresse bien dans le sens où chacun commence à comprendre que GMES n'est pas uniquement un programme de développement de satellites mais quelque chose de beaucoup plus global et structurant, en particulier la création d'un marché institutionnel et commercial. C'est structurant, générateur de services et d'activité économique. Après, il faudra définir une organisation qui passe par des infrastructures in situ et satellites. Evidemment, les agences spatiales ont un rôle, mais elles ne sont qu'une pièce du puzzle.

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