Labori, un gladiateur dans l'arène des prétoires

Une biographie de l'avocat de Zola et Dreyfus permet de revivre les grandes affaires judiciaires de la IIIe République.

Dans la foulée des commémorations du centenaire de la réhabilitation d'Alfred Dreyfus au printemps dernier, Thierry Lévy et Jean-Pierre Royer décryptent la personnalité complexe de Fernand Labori (1860-1917), cet avocat qui a animé le combat pour la révision du procès de Dreyfus, avant de rompre bruyamment avec le parti dreyfusard. Ils dressent un superbe portrait de ce redoutable bretteur, ce "gladiateur" jeté dans l'arène judiciaire dont les plaidoiries "faisaient battre le coeur de ses partisans et irritait les nerfs de ses adversaires".

L'homme aime les défis. Encore étudiant, il affûte son éloquence en soutenant une vibrante plaidoirie pour... Marie-Antoinette dans l'Affaire du collier. Devenu avocat, Labori affirme ses convictions républicaines en intervenant rapidement dans des procès politiques (crise boulangiste puis scandale de Panama). Il défend aussi des anarchistes, notamment Auguste Vaillant qui a fait exploser une bombe en 1894 au Palais Bourbon. Un cas désespéré pour la défense mais qui démontre les qualités intellectuelles de Labori.

Les deux biographes donnent bien-sûr une large place à son rôle dans l'affaire Dreyfus. Un des morceaux de choix de leur travail concerne son rôle de défenseur dans le procès de Zola en 1898, à la suite de la publication de son "J'accuse". L'écrivain entend bien utiliser cette tribune pour révéler devant les juges l'innocence du capitaine condamné en 1894. Labori se lance à fond dans cette bataille: par une épuisante confrontation avec le président et l'avocat général, et aussi une stratégie d'éreintement des témoins, l'avocat triomphe. "Si l'innocence de Dreyfus n'était encore proclamé, notent les auteurs, ce procès avait rendu la révision inéluctable, tant il était apparu que l'Etat major avait commis des illégalités et couvrait les faussaires".

C'est donc tout naturellement que Labori assure la défense, aux côtés d'Edgar Demange, d'Alfred Dreyfus pour son deuxième procès à Rennes. Pourtant l'avocat ressortira meurtri de son "combat pour la vérité". Physiquement d'abord, puisqu'on tente de l'assassiner. Cette blessure par balle l'éloignera quelques jours du procès. Moralement ensuite, car sa stratégie d'attaque frontale s'oppose à une approche plus conciliante de Demange et de la famille Dreyfus. Affaibli, Labori refuse de plaider. Dreyfus est à nouveau condamné. L'avocat veut continuer le combat et tente de s'opposer à une demande de grâce. C'est la rupture avec le parti dreyfusard: Labori multiplie les articles dans lesquels il répand son amertume, aigreur avivée encore par l'amnistie générale qui suit la grâce de Dreyfus, et où perce un antisémitisme rancunier.

Labori a perdu le grand combat de sa vie. Après un court intermède politique (il est élu député), il se replonge dans une activité fébrile en intervenant notamment dans des procès très médiatiques comme l'affaire Humbert, cette aventurière qui a dupé la bonne société parisienne pendant 20 ans, ou l'affaire Caillaux, la femme du ministre des Finances qui a assassiné le directeur du Figaro, à l'origine d'une campagne de diffamation contre son mari. En juillet 1914, Labori obtient son acquittement, une des dernières victoires de ce poids lourd des prétoires.


"Labori, un avocat" de Thierry Lévy et Jean-Pierre Royer. Editions Louis Audibert, 274 pages, 22 euros
A lire aussi: "De la justice dans l'affaire Dreyfus", Fayard, 430 pages, 26 euros

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