Pétrole : "Les négociations en Russie vont donner le ton des années à venir"

John Thieroff, analyste crédit et spécialiste du secteur des hydrocarbures chez Standard & Poor's, estime que l'offensive menée par la Russie contre les compagnies pétrolières étrangères s'inscrit dans un mouvement d'ampleur mondiale, qui amorce un rééquilibre du partage de la manne de l'or noir.

Latribune.fr.- Les menaces de retrait de licence d'exploitation brandies par le gouvernement russe à l'égard de Shell, Total, ExxonMobil ou BP constituent-elles une tendance de fond?

John Thieroff.- L'attitude des autorités russes est loin d'être isolée dans le monde, elle procède d'un mouvement d'ampleur internationale qui concerne bon nombre de pays exportateurs de brut. Car avec l'envolée des prix du pétrole, ces derniers n'ont pas manqué d'observer la rentabilité enviable des compagnies étrangères qu'ils ont invitées sur leur territoire. Ainsi ces dernières années, pas moins de six pays, le Venezuela, l'Algérie et la Russie en tête, ont rehaussé leurs taxes et le niveau de leurs royalties. En 2006, le rythme auquel augmentent ces diverses rentes pétrolières s'est même considérablement accéléré. A titre d'exemple, Hugo Chavez a, en l'espace de deux ans, très significativement augmenté le montant de la redevance sur l'extraction du brut en la passant de 1%... à 33%.

Quelles motivations animent ces décisions?

Si le gouvernement russe se penche avec beaucoup plus d'attention sur les accords de production partagée, c'est de façon à traquer les infractions qui mettront les opérateurs étrangers en défaut. On peut l'interpréter comme un moyen de ramener les compagnies pétrolières autour de la table des négociations et de les conduire à revoir les conditions des contrats d'exploitation pour équilibrer les arrangements conclus par le passé. Au-delà de cet aspect, l'augmentation constante des prix du brut a constitué ces trois dernières années une aubaine inattendue pour la Russie, renforçant considérablement la puissance de producteurs domestiques comme Gazprom ou Loukoïl. Les agissements récents du gouvernement russe semblent destinés à favoriser les champions nationaux au détriment des compagnies étrangères. Il sera intéressant d'observer comment les négociations en cours avec Shell, Total ou encore BP vont évoluer, car elles pourraient donner le ton des années à venir.

De quels moyens dispose la Russie pour faire pression sur les opérateurs étrangers?

Dans les pays occidentaux, nombreux sont ceux qui pensent que des pays comme la Russie manquent de structures juridiques. Bien au contraire! Elles sont peut être plus développées et complexes qu'on a tendance à le croire. Le problème de fond, c'est que les recours juridiques sont employés de manière soudaine, arbitraire et opaque. La nature très politique de l'industrie pétrolière et gazière dans ce pays crée un terrain sur lequel il est difficile aux différents opérateurs étrangers de naviguer.

Les litiges en cours vont-ils avoir un impact financier sur les compagnies pétrolières concernées?

Cela semble probable. A lui seul, le projet d'exploitation Sakhaline 2 (dont Shell détient 55% du capital, NDLR) nécessite un investissement de 20 milliards de dollars. Par ailleurs, le gisement voisin de Sakhaline 1, dont l'extraction est principalement financée par l'américain ExxonMobil, compte pour beaucoup dans la croissance attendue par le groupe dans les prochaines années. Au regard des enjeux et des sommes engagées, ces compagnies ne peuvent pas imaginer tirer totalement une croix sur la Russie et ce, quelles que soient les exigences de son gouvernement.

Quelle est leur marge de manoeuvre?

Le problème aujourd'hui, c'est que le pétrole est une ressource limitée et qu'il est de plus en plus difficile à trouver. Les zones d'exploitation autrefois simples d'accès comme la mer du Nord ou les Etats-Unis sont désormais saturées. Les grands opérateurs n'ont donc plus d'autre choix qu'aller prospecter et s'implanter dans des pays en dépit de leur caractère instable. D'une certaine manière, le facteur du risque politique est devenu presque inévitable.

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