"Le déséquilibre du système financier est à l'origine des excès salariaux des dirigeants"

Pierre-Henri Leroy, président de la société de conseil aux actionnaires Proxinvest, estime que les salaires des dirigeants, qui sont de plus en plus fustigés dans les sociétés occidentales et ne cessent de s'accroître par rapport aux salaires moyens, se trouvent totalement dé-corrélés des performances des entreprises. Un dysfonctionnement qu'il attribue aux effets du modèle monopolistique de banque universelle.

latribune.fr- Pourquoi les rémunérations des dirigeants d'entreprises font-elles aujourd'hui l'objet de toutes les critiques?

Pierre-Henri Leroy- Les indemnités de départ de 12 millions d'euros versées à l'ancien président d'Accor, bien que contestées par 45% des actionnaires, ou la vingtaine de millions obtenus par l'ancien patron de Vinci Antoine Zacharias ont effectivement donné un nouveau coup de projecteur sur ces niveaux de rémunération peu justifiables.

Comment a-t-on atteint de tels niveaux?

Cette dérive trouve son origine dans les déséquilibres du système financier actuel. Fondement du libéralisme, l'interdiction des monopoles, sacralisée par le Sherman Act en 1890, puis par le Glass Steagall Act de 1933, est aujourd'hui loin d'être appliquée au secteur bancaire protégé par les Etats. Les banques sont devenues des mastodontes protégés en cumulant des activités de crédit, de dépôt, de banques d'affaires, d'immobilier, d'assurance, etc...

En quoi cela a-t-il entraîné une flambée des salaires?

Protégés par les Etats pour leurs activités de dépôt et de crédit, et bénéficiant de ce fait d'un effet de levier très supérieur aux autres secteurs, les banques ont pu se développer librement dans les années 80 et 90 dans diverses activités, qui leur étaient autrefois interdites, les actions et l'immobilier en particulier... De considérables commissions ont commencé à être versées aux responsables des opérations primaires et aux opérations de trading. Puis les rémunérations de banque d'affaires ont explosé, et par voie de contagion les rémunération des émetteurs, décideurs des opérations primaires. Si leur sens de la responsabilité sociale est sujette à caution, ces administrateurs dirigeants sont généralement irréprochables professionnellement.

Face à ces abus, les actionnaires ont réagi mais tardivement. En effet, les activités de gestion qui détiennent une grande part du droit de vote en assemblée, et donc le contrôle de la nomination des administrateurs, sont encore souvent en situation de dépendance vis à vis du secteur primaire, ou "sell side". Parallèlement, le crédit aux entreprises, aux pays pauvres, aux professionnels se tarit car le métier ne plait plus ou plutôt paie beaucoup moins... Le coup financier à court terme l'emporte sur les constructions laborieuses à long terme et le libéralisme s'en trouve largement déconsidéré.

Les réflexions critiques des élites financières et des hommes politiques sont rares sur ce point. Seules quelques personnalités comme Paul Volcker, l'ancien président de la Fed, Bob Monks, chef de file historique du réveil des actionnaires aux Etats-Unis, ou Felix Rohatyn dénoncent les limites et les risques de ce système.

Quelles sont les solutions?

Au niveau international, il faudra choisir entre toujours plus de contrôles administratifs tatillons façon Sarbannes-Oxley ou autres ratios de Bâle, et une vraie réforme par la scission des métiers de la finance. Au niveau français, il faut sans doute que l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) développe encore son indépendance, car l'exemplarité publique reste essentielle. Il faudra aussi sans doute qu'Euronext choisisse entre l'augmentation à court terme des volumes traités et la qualité du tissu financier dont elle entend vivre à terme.

Qu'en est-il de la loi Breton?

Pour la première fois, grâce loi Clément-Breton de juillet 2005, les actionnaires ont la possibilité de se prononcer en assemblée générale sur les retraites et les indemnités de départ réservées individuellement aux dirigeants. Mais les sociétés "oublient" d'individualiser, qui les rémunérations, qui les options, les actions gratuites ou les retraites provisionnées. Vivendi, Carrefour, France Télécom, Total, pour n'en citer que quelques-uns, omettent ainsi certaines de ces précisions. La loi n'est donc pas vraiment pleinement appliquée.

Que peut-on espérer des politiques?

A coup sûr rien ou peu de la part des candidats qui condamnent le libéralisme, base de la responsabilité et de l'effort, et tablent sur un électorat fonctionnaire. A droite, je note qu'Edouard Balladur a récemment émis une proposition sévère sur les stocks-options, en prônant l'impossibilité d'exercer ses options avant d'avoir quitté la société.

En fait, la solution est du côté des actionnaires, notamment du côté de l'Association Française de la Gestion (AFG). Je pense qu'ils devraient faire interdire toute opération à terme ou optionnelle aux dirigeants sur leur propre titre.

De même que les radars ont finalement permis la limitations de vitesse sur les routes, il faut des interdictions sanctionnées par les actionnaires pour freiner les dérives de certains conducteurs.

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