Jacques Capdeville : "Avec le CPE, les images de Sarkozy et de Villepin se sont inversées"

La mobilisation contre le Contrat Première Embauche et les manifestations massives du 28 mars ont suscité une sérieuse crise politique. Spécialiste des mouvements sociaux, le sociologue et politologue Jacques Capdeville, directeur de la recherche au Cevipof (Centre d'étude de la vie politique française de Sciences-po), estime que seule l'obstination de Dominique de Villepin restera, alors que l'image de Nicolas Sarkozy ressort plus tempérée.

latribune.fr - Quelle est votre analyse de la situation créée par le mouvement de rejet du CPE?

Jacques Capdeville - C'est le résultat de la crise de la représentation politique profonde qui sévit aussi bien en France que dans les autres pays traditionnels de l'Union européenne, la Belgique, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie... Outre-Atlantique, le gouvernement connaît les mêmes difficultés. Samedi dernier, ce sont 500.000 personnes qui ont manifesté dans les rues à Los Angeles contre la nouvelle loi de George Bush sur l'immigration, soit une mobilisation bien plus importante que celle contre la guerre en Irak.

Comment se traduit ce malaise?

Dans les urnes d'abord. L'abstention a doublé en dix ans dans l'Hexagone comme chez la plupart de nos voisins. Alors que la réélection de Tony Blair a été remportée avec une abstention record de près de 50% l'an dernier, Jacques Chirac s'est fait réélire en 2002 avec seulement 13,75% des électeurs inscrits votant pour lui au premier tour. Il y a une sorte de consensus, aussi bien des politologues que des journalistes, à faire l'impasse sur tous ces résultats d'élections en termes de rapport aux inscrits. Mais ces derniers temps en France, le vote sanction passe aussi bien par le "non" que par l'abstention. Le PS en a largement tiré bénéfice en 2004, aussi bien aux élections régionales qu'aux européennes. Quant au référendum, le "non" l'a emporté alors même que les trois quarts des hommes politiques s'étaient engagés pour le "oui" pendant la campagne. Preuve, une nouvelle fois, de la perte de légitimité de la classe politique.

Dans ce contexte, que peut faire le gouvernement?

Le gouvernement a tendance à s'aligner sur la "pression des marchés" financiers ou bien à rester inactif. Ses décisions restent de toutes façons subordonnées aux ambitions présidentielles, avec la guerre larvée entre le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur. Dans l'opposition, la situation est la même avec la dizaine de candidats à gauche

Comment évolue le rapport de force entre le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur?

Dominique de Villepin avait gagné des points durant la crise des banlieues en raison des maladresses et de l'effet "karcher" de Nicolas Sarkozy. Mais avec le CPE, la perception des tempéraments des deux hommes s'est inversée. En imposant de force la loi sur l'égalité des chances qui inclut le Contrat Première Embauche (CPE) grâce à l'article 49-3 de la Constitution, le Premier ministre souhaitait s'affirmer face à son concurrent par un choix courageux et faire oublier son image de conservateur social gaulliste. Résultat, c'est son obstination et son intransigeance qui resteront.

Du côté adverse, la sourde réprobation du ministre de l'Intérieur - discrète en raison de l'exigence de solidarité gouvernementale - a adouci sa réputation de "pur et dur". Sans compter l'habileté de Nicolas Sarkozy à exploiter la situation. Grâce à un dialogue avec les syndicats, le ministre de l'Intérieur a pu coordonner les forces de polices avec les organisations syndicales lors des manifestations qui ont eu lieu 28 mars partout en France. De quoi consolider sa toute nouvelle image de conciliateur.

Que pensez-vous du CPE en tant que tel?

Beaucoup de choses ont été dites sur le sujet. Il faut écouter les chefs d'entreprises, loin d'être unanimes. Nombre d'entre eux soulignent qu'il ne faut pas deux ans pour bien connaître un employé. De plus, bien d'autres dispositifs existent pour embaucher de façon "provisoire".

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