Reportage : la manif anti-CPE se mue en carnaval anti-gouvernemental

Le grand cortège parisien a pris des allures de fête célébrant, avant l'heure, la victoire contre le CPE. Mais certains manifestants réclament maintenant la chute du gouvernement.

Des étals de merguez fumantes, une nuée de ballons syndicaux multicolores, des tracts anti-CPE et CNE qui pleuvent du ciel comme des confettis, la sono de la CGT qui sature sur la chanson "Motivés, Motivés" de Zebda... Il est 14h30 place de la République, le soleil est de la partie et il plane dans l'air comme une ambiance de "Fête de l'Huma". Un autocollant très poétique du PC s'arrache: "De battre le pavé mon coeur s'est relancé"... On est loin de l'ambiance tendue qui avait plombé les dernières manifs anti-CPE: impressionnant service d'ordre policier et syndical oblige, les casseurs professionnels et autres bandes de "lascars" n'ont pas encore montré le bout de leur nez masqué...

Comme mardi dernier, une foule immense et bariolée piétine d'impatience en attendant le départ de cette cinquième grande manifestation contre le Contrat Première Embauche. Etudiants, lycéens, parents d'élèves solidaires, syndiqués CGT, CDFT, FO et SUD, militants PS, PC et trotskystes de toutes obédiences: le peuple de gauche bat de nouveau le pavé pour obtenir le retrait ferme et définitif du CPE, voire bien plus... Un jeune farceur des Beaux Arts est applaudi avec sa pancarte caricaturant un Dominique de Villepin nu comme un vers dissimulant son intimité derrière une feuille de vigne CPE. Légende: "Maintenant j'enlève le bas"...

Combien sont-ils? Un vieux routier de la LCR s'époumone dans son mégaphone: "Et 1 et 2 et 3 millions... Dans toute la France nous sommes aujourd'hui plus nombreux que le 28 mars". Difficile à dire à cette heure, mais la CGT parle déjà de 700.000 manifestants à Paris, comme mardi dernier.

De l'autre côté de la Seine, devant l'Assemblée, le Premier ministre déclare au même moment que "la priorité c'est de sortir de la crise actuelle sur le CPE" et appelle à un dialogue constructif sur le sujet entre parlementaires UMP et partenaires sociaux... Un ange surréaliste passe.

"Villepin démission!"

Car à la République, la marée des manifestants semble maintenant être moins motivée par le retrait du CPE que par l'envie de faire rouler la tête du gouvernement dans la sciure. "Villepin démission, Sarko expulsion, Chirac en prison", scandent des milliers de jeunes lycéens derrière une banderole "Jusqu'au bout". "Chirac, fais nous plaisir: dissolution, dissolution !" reprennent en choeur des militants de la jeunesse socialiste. Au même moment, le président du groupe PS à l'Assemblée, Jean-Marc Ayrault, apostrophe violemment le Premier ministre sur le thème "Que faites vous ici, vous ne gouvernez plus!".

Faire tomber le gouvernement? Certains en rêvent sur l'air désormais bien connu de "Grève générale, Rêve général". En attendant le grand soir, il est 15h et le cortège s'ébranle en rangs serrés de la République vers la Place d'Italie sur le boulevard du Temple. Soit en sens inverse du défilé du 28 mars, qui avait marqué un tournant dans la crise après deux mois de mobilisation anti-CPE. Tout un symbole, comme si la boucle était bouclée...

Grande célébration festive après la vraie-fausse promulgation de la "loi sur l'égalité des chances" annoncée vendredi soir par le président Chirac qui ressemble fort à un enterrement de première classe du CPE? Dernier baroud d'honneur des manifestants qui ont réussi à vider de sa substance le texte gouvernemental au grand dam de Dominique de Villepin? La question taraude autant les journalistes que les policiers des Renseignements Généraux, à l'affût de la moindre info dans le défilé. Mais elle ne trouve pas de réponse évidente.

Printemps chaud?

Une chose est sûre, le vent de mai 68 ne souffle pas vraiment sur avril 2006. L'ambiance est plutôt au grand carnaval anti-gouvernemental. Un homme de Cro-Magnon avec une pancarte "CPE C'est la Préhistoire En pire" fait des grands moulinets avec sa massue. Plus loin, au niveau du boulevard Beaumarchais, les "Panthères Roses" du Gai Paris, portant tutu et boa, se trémoussent en rythmant la samba sur leurs tambours. Il est 16 heures, la Bastille est en vue. Et la manif a trouvé son hymne officiel: "Nicolas qui? Nicolas Police"... Une ritournelle techno moquant le ministre de l'Intérieur, signée du DJ Olaf Hund.

Plus sérieux, d'autres manifestants, peu motivés par un retour à l'ordre républicain, scandent "Chaud, chaud, chaud, le Printemps sera chaud" sous deux énormes oriflammes noir et rouge... Mais la sortie de crise n'est peut-être pas loin. Car de leur côté, les leaders syndicaux crient déjà victoire: Bernard Thibault de la CGT estime que "cette journée peut porter un coup fatal au CPE", François Chérèque de la CFDT que "le gouvernement est en train de lâcher"... On se rapproche du fameux "Il faut savoir terminer une grève"... Comme l'Unef, Tristan Rouquier du syndicat lycéen FIDL continue de son côté à appeler à de nouvelles manifestations "jusqu'au retrait total du CPE". Mais pour les grandes centrales, le rapport de force est maintenant idéal pour obtenir un "Grenelle social"...

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