Le marché du travail britannique confronté à la hausse de la population active

La Grande-Bretagne affiche désormais un taux de chômage de 5,6%, son plus haut niveau depuis mai 2000, en raison de l'afflux d'immigrants d'Europe de l'Est et du retour des seniors sur le marché de l'emploi. Malgré les nombreuses créations de postes, une certaine précarité subsiste et les inégalités se creusent.

Publié mercredi dernier, le taux de chômage britannique est remonté de 0,1% à 5,6% au troisième trimestre, son plus haut niveau depuis mai 2000. Ce taux reste néanmoins très bas en comparaison des autres grandes économies européennes: 8,9% en France, 10,6% en Allemagne.

"La Grande-Bretagne parvient somme toute assez bien à absorber l'augmentation de la population active grâce aux créations de postes, au contraire de la France qui voit son taux de chômage baisser alors que les créations de postes restent faibles", indique Nicolas Bouzou, économiste chez Asterès. Dans les deux cas, le taux de chômage masque une réalité démographique très différente, puisque les départs à la retraite en France font reculer la population active.

"La hausse du taux de chômage traduit plutôt, depuis le début de l'année surtout, l'accroissement très significatif de la population active lié à l'arrivée massive d'immigrants en provenance des nouveaux Etats membres de l'UE et à la participation accrue au marché du travail de la part des seniors", renchérit Marc Touati, économiste chez Natexis. Ainsi, la population active progresse toujours deux fois plus vite que l'emploi (respectivement 1,5% contre 0,7% en glissement annuel en septembre), ce qui se traduit mécaniquement par une progression quasi-linéaire du chômage (de 4,7% à 5,6% en treize mois).

Le solde net de l'immigration en 2005 fait état d'un afflux de 185.000 personnes, d'après les statistiques du gouvernement (voir ci-contre). De fait, la Grande-Bretagne n'a pas institué de moratoire à la libre circulation des travailleurs d'Europe de l'Est. Cependant, le gouvernement songe à réguler cet afflux, qui devrait s'amplifier avec l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'Union européenne en 2007. Ce débat constitue d'ailleurs un enjeu politique majeur entre les travaillistes et les conservateurs pour les prochaines élections prévues à la fin de la décennie.

Par ailleurs, les seniors reviennent en masse sur le marché du travail. Selon les statistiques publiées par le gouvernement (voir ci-contre), le taux d'emploi des plus de soixante ans est passé de 7,6% à 10,6% entre 1998 et 2006. "D'aucuns diront que ce phénomène traduit les problèmes de retraites outre-Manche, mais il est plutôt logique que le taux d'emploi des seniors augmente au sein d'une population vieillissante", commente Nicolas Bouzou.

Un marché plus souple

L'assouplissement du marché du travail, opéré dès les années 1980 par Margaret Thatcher est pour beaucoup l'explication essentielle de la bonne santé du marché du travail aujourd'hui. Comme il est plus facile de licencier, les entreprises n'hésitent pas à embaucher. A la fin des années 1970, le pays se trouvait dans un marasme intégral, et Margaret Thatcher s'est appliquée au début de son mandat de Premier ministre à limiter le rôle des syndicats. "Vécue difficilement à l'époque, cette thérapie de choc est aujourd'hui tout à fait acceptée par les Britanniques, qui placent l'économie en cinquième position de leurs préoccupations", indique Nicolas Bouzou.

Tony Blair s'est bien gardé de redorer le blason des syndicats, tout en ayant néanmoins une politique économique plus souple que son prédécesseur, avec un accent sur le service public. D'une part, Gordon Brown, le chancelier de l'échiquier, a su donner des gages aux marchés financiers, avec les règles de politique budgétaire de ne pas emprunter pour financer les dépenses courantes et de maintenir une dette inférieure à 40% du PIB. Mais parallèlement, les dépenses de l'Etat ont su s'adapter aux aléas conjoncturels. Après avoir rompu avec les pratiques travaillistes traditionnelles dans les années 1990 et exercé une politique de baisse des dépenses publiques, le gouvernement a su jouer le pragmatisme et dépenser sans excès à partir de 2000 pour s'adapter à la crise.

Depuis le début de la décennie, la plupart des créations d'emplois ont concerné le service public. Afin de rattraper le retard accumulé par les politiques de rigueur des conservateurs, Tony Blair a lancé deux chantiers majeurs: ceux de la santé, aujourd'hui suspendu en raison de l'absence d'amélioration de la productivité, et de l'éducation. L'encadrement des chômeurs, en particulier des personnes fragilisées comme les parents seuls ou les chômeurs de longue durée, a également été renforcé par le Premier ministre.

Zones d'ombres

Mais le tableau comporte ses parts d'ombre. D'une part, ces statistiques sont souvent controversées. "Après la période d'allocation chômage de 26 semaines, les chômeurs ne sont plus comptabilisés", explique Alexis Garatti, économiste chez Ixis, qui considère que leur prise en compte porterait le taux de chômage à environ 6,5%. De plus, les inégalités ont explosé pour atteindre un niveau comparable à celui des Etats-Unis.

Enfin, la souplesse du marché du travail est aussi synonyme d'une certaine précarité, avec moins de six mois d'indemnisation chômage après un licenciement, la plus courte période d'allocation en Europe. "Par ailleurs, Tony Blair n'est pas parvenu à limiter la pauvreté de façon satisfaisante. Certes, l'objectif d'abaisser la pauvreté infantile d'un tiers par rapport à 2000 a été pratiquement atteint, mais le niveau reste très supérieur aux années 1980", indique Alexis Garatti.

Cette situation tout à fait viable aujourd'hui grâce à une croissance forte pourrait donc trouver ses limites en cas de récession. Cependant, l'économie outre-Manche fait preuve d'une régularité à toute épreuve, malgré sa spécialisation dans le secteur bancaire, très corrélé aux fluctuations des marché financiers. A ce titre, le refus de l'euro n'a pas forcément été une mauvaise chose, étant donné le nombre d'emplois de traders et de cambistes liés à la livre sterling à la City.

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