Droit d'auteur : un débat à désespérer de la démocratie

La République a donné cette semaine un triste spectacle à l'occasion du débat à l'Assemblée sur le projet de loi "Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information" (Dadvsi). Monsieur de La Fontaine en avait déjà écrit la Fable.

Des millions d'internautes et l'ensemble des acteurs du secteur culturel attendent depuis quatre ans la définition d'un cadre juridique clair sur le téléchargement d'oeuvres sur Internet, le sujet polarise des points de vue radicalement opposés défendus par les partisans d'une licence globale autorisant le téléchargement moyennant un forfait mensuel d'une part, et par ceux qui souhaitent protéger et voir perdurer dans l'ordre numérique le droit d'auteur "à la française". Un vrai débat de société, passionnant, passionné...où sont en jeu rien moins que la création, la diversité culturelle et l'accès à la culture, la liberté individuelle et le droit moral d'un créateur sur son oeuvre. Un débat déterminant pour le siècle qui s'ouvre.

Gouvernement et députés leur offrent depuis mardi soir une parodie de discussion, s'enlisant dans des questions de procédure: le gouvernement, en retirant l'article voté contre son avis, en décembre dernier, et instituant la licence globale, s'est enferré appuyé par une majorité de députés UMP, remettant finalement l'article au vote, après de multiples rappels au règlement, interruptions de séance, affirmation mordicus aussitôt démentie de la constitutionnalité de la méthode. Les députés PS, qui avaient voté la licence globale en décembre, changent eux aussi d'avis prônant une taxe sur les fournisseurs d'accès, demandent le retrait du texte mais aussi la poursuite de sa discussion à condition que l'on abandonne la procédure d'urgence.

Comment dire le droit dans une telle pagaille? En proposant un nouveau texte, remanié par rapport à celui de janvier, le gouvernement avait déjà rendu une copie peu lisible, empilant de nouvelles exceptions au droit d'auteur, affirmant qu'il garantit le droit à la copie privée tout en déléguant à une autorité administrative le soin d'en définir les limites, affirmant de façon ambiguë d'un côté l'obligation de l'interopérabilité des fichiers numériques, c'est à dire l'obligation de les rendre lisibles sur tous les lecteurs et tous les logiciels, et de l'autre l'interdiction de détourner des mesures techniques de protection des fichiers...

Un siècle avant Beaumarchais, le père du droit d'auteur, Jean de la Fontaine écrivait la Fable du "Chat, la Belette et du petit lapin". Une parabole du débat en cours: dans le rôle de l'internaute usager du peer-to-peer, la belette. Dans celui du jeune lapin, qui trouve un beau matin, en revenant de promenade, son logis occupé par la belette, les auteurs et autres ayants-droits. Comme Jean Lapin, ils invoquent la coutume et l'usage, qui les fait maîtres du terrier creusés par leurs ancêtres. "Je voudrais bien savoir, quelle loi En a pour toujours fait l'octroi A Jean, fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume, Plutôt qu'à Paul, plutôt qu'à moi" rétorquent, à l'unisson de la belette, les internautes, qui en appellent aux temps nouveaux ouverts par les réseaux numériques, pour justifier l'expropriation des anciens propriétaires et le libre usage du terrier et de ses biens.
Ils s'en rapportent au chat, "arbitre expert en tous les cas". En l'occurrence la loi. Dans sa première mouture, elle consacre l'usage, se rangeant du côté de Jeannot lapin, et propose de barricader le terrier, pour n'en laisser l'accès qu'aux belettes dûment autorisées. Mais des députés, bien intentionnés à l'égard des belettes, estiment en décembre qu'il suffit de leur réclamer un loyer modéré pour dédommager le lapin de l'usage du terrier, et que l'affaire sera réglée.

Le gouvernement aurait pu se contenter d'en revenir à la lettre de son premier texte. Au lieu de quoi, il l'alourdit, le complique, essaie, sans succès de ne pas s'aliéner les jeunes belettes dotées d'une carte de vote. Ils mécontentent les lapins en allégeant les punitions pour les contrevenants, multiplient les cas d'expropriation au nom de l'accès à la culture pour les bibliothèques, les centres d'archives, les handicapés. Autant de causes indiscutables mais pour lesquelles il instaure d'affolantes usines à gaz, comme un second dépôt des oeuvres numérique pour les associations d'handicapés, qui fait hurler le monde de l'édition de livres, restée jusqu'alors à l'écart du débat.

Tel le chat Raminagrobis, qui à la fin de la Fable, "met les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre", le Davdsi est en train de devenir un engin dévoreur. On peut craindre qu'il laisse un droit d'auteur déchiqueté, démembré, et incohérent, ne répondant ni aux attentes des uns, ni aux besoins des autres. "Ceci ressemble fort aux débats qu'ont parfois les petits souverains s'en rapportant aux rois", conclut La Fontaine. De fait, on en vient à penser, à écouter le débat kafkaïen sur ce texte, les votes sur des amendements d'un article retiré, remis en selle par le gouvernement pour mieux le rejeter, qu'il aurait mieux fallu pour la belette comme pour le jeune lapin, tenter de s'entendre sans en passer par la loi. Un mauvais coup pour la démocratie.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.