Les comptes "à la mode Vivendi"

Imaginez-vous dans la peau d'un analyste financier, un beau matin de septembre. Il est très tôt, même pas 8 heures, pourtant déjà l'heure de filer en "morning meeting", cette réunion matinale quotidienne au cours de laquelle les analystes décortiquent succinctement les publications et autres annonces des stars du CAC 40 mais aussi de plus petites capitalisations, afin de permettre aux vendeurs de conseiller leurs clients dès l'ouverture du marché parisien, une heure plus tard. Jeudi dernier, les analystes suivant le secteur des médias attendent fiévreusement la livraison des comptes semestriels de Vivendi pour les éplucher, conglomérat aux multiples activités oblige. Il est 8 heures passées quand le communiqué arrive enfin - contre 7h à 7h30 pour les plus matinaux du CAC tels que Bouygues. Mais là, ô surprise: les chiffres publiés ne ressemblent pas à ceux du premier semestre 2005 ni aux prévisions de ces experts. La surprise est de taille: 200 millions d'euros d'écart... Vous voilà donc débarquant en salle de morning meeting, face à des vendeurs piaffant d'impatience, et vous êtes bien en mal d'émettre une opinion tranchée sur le semestre de Vivendi... Une demi-page du communiqué, qui en compte une vingtaine, explique que Vivendi a décidé d'adopter "une nouvelle présentation" de ses comptes, en excluant désormais du résultat d'exploitation et du résultat net "l'amortissement des actifs incorporels liés aux acquisitions"... Les analystes devront attendre plusieurs heures avant d'obtenir le détail des modifications pour chaque division et obtenir des précisions en début d'après-midi. Pendant ce temps-là, les clients des courtiers, gérants de Sicav actionnaires de Vivendi, sont priés de patienter. Le cours de Vivendi, lui, oscille entre le vert et le rouge avant de finir en baisse de 0,37% jeudi et de 0,52% vendredi: il gagne à peine 1% depuis janvier.... Pourquoi diable Vivendi n'a-t-il prévenu les analystes de ce changement totalement soudain de présentation, jamais évoqué auparavant? Il y a un an, un autre mastodonte du CAC, L'Oréal, avait modifié sa présentation en prenant le soin de convoquer, la veille de la publication de ses semestriels, les analystes à un petit "atelier comptable" leur permettant d'amender en conséquence leurs prévisions. Nulle prévenance de ce type chez Vivendi, taxé par les plus aimables de maladresse, par les plus irrités de désinvolture et d'irrespect. "Retraiter les comptes semble sensé mais cela aurait dû être fait au moment de la transition aux normes IFRS" - c'est-à-dire à la publication des comptes annuels 2005 - lâche l'expert de Merrill Lynch, Julien Roch. "Le marché n'aime pas les retraitements parce que cela nuit à la continuité des comptes", poursuit cet expert, fin connaisseur du groupe. Il est en effet impossible par la suite d'établir de réelles comparaisons sur plusieurs années afin de retracer l'évolution d'un métier sur longue période par exemple. Les experts d'Ixis Securities observent aussi que cette présentation, adoptée par d'autres groupes tels que Publicis, peut représenter "un risque pour l'actionnaire à l'heure où Vivendi accélère sa politique de croissance externe", si les effets "négatifs" des acquisitions n'apparaissent plus clairement dans ses résultats... Du fait de son passé chargé d'accusations de présentations fallacieuses sous l'ère Messier, on eut pu attendre mieux que ces comptes "à la mode Vivendi", qui choquent moins sur le fond que sur le modus operandi...
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