François Auque, PDG d'Astrium : "le poids relatif de la France et de l'Europe dans le monde ne cesse de baisser tous les jours dans le domaine spatial"

A ses yeux, " il n'y a aucun projet de développement en matière de lanceurs. Le développement du missile balistique M51 est achevé, et celui d'Ariane 5 également." En outre, dans le spatial militaire, la France risque de "perdre la compétence en matière d'observation militaire de grande qualité et pourrait se trouver à partir de 2015 en rupture opérationnelle".

Quels sont les grands enjeux pour Astrium ?
La situation économique et financière d'Astrium est satisfaisante mais j'ai toutefois deux réserves pour l'avenir. Premièrement, il n'y a aucun projet de développement en matière de lanceurs. Le développement du missile balistique M51 est achevé, et celui d'Ariane 5 également. Quelles sont les perspectives des ingénieurs de la filière lanceur missiles balistiques ?

Quelles sont les urgences en matière de spatial militaire ?
C'est ma deuxième réserve. Il faut trouver des crédits pour démarrer tout début 2008 le programme qui doit succéder à Helios à partir de 2015. A défaut, la France perdra la compétence en matière d'observation militaire de grande qualité et pourrait se trouver à partir de 2015 en rupture opérationnelle. En effet, la fin de vie contractuelle de Helios est en 2015. Il faut sept ans pour développer un nouveau programme. L'absence de décision depuis deux ans signifie que les équipes françaises risquent de se démotiver. Nos ingénieurs commencent à partir. On en est là. Je l'explique et le ré explique partout sur tous les tons... C'est l'urgence absolue.

Que voulez-vous ?
A la création d'Astrium, il nous a fallu supprimer 3.300 emplois pour adapter la société au contexte budgétaire. Nous savons faire. En tant que citoyen, je me désole de voir que le poids relatif de la France et de l'Europe dans le monde ne cesse de baisser tous les jours dans le domaine spatial. Tous les autres pays accélèrent leurs dépenses, y compris ceux qui sont bien en avance sur nous : les Etats-Unis + 7 % par an, la Russie, la Chine + 12 %, l'Inde + 18 %, l'Europe 0 %. Et ce depuis dix ans ! Plus aucune ambition, juste la stagnation ! Je ne me résigne pas à voir s'éroder tous les jours le patrimoine technologique constitué par le Général de Gaulle et ses successeurs.

Votre discours est-il entendu ?
On a franchi une première étape par rapport aux trois-quatre dernières années où parler de déclin était tabou. Depuis, un progrès a été fait : un rapport parlementaire a décrit objectivement la situation et a conclu : si l'Europe ne se ressaisit pas, elle s'enfoncera dans la spirale du déclin. Cette vérité est désormais officielle. En revanche, on n'a pas franchi l'étape consistant à prendre des décisions. C'est d'autant plus grave que les échéances frappent à la porte. Dans le militaire, il y a le Livre blanc. Il faut quand même savoir que les projections des états-majors sur l'espace pour 2008/2009 sont en fort déclin. Donc quelles vont être les conclusions du Livre blanc et que va-t-on en faire ? Jusqu'à présent, tous les rapports précédents sont restés dans des tiroirs car précisément ils proposaient de sortir de la stagnation.

Et la conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne en 2008 ?
C'est la deuxième échéance. Elle se tiendra le 26 novembre 2008 à La Haye. S'il ne se produit aucune impulsion budgétaire à cette conférence, nous repartirons pour quatre-cinq ans de stagnation. Ce serait d'autant plus grave qu'il y a aujourd'hui une configuration astrale très positive pour l'espace, à condition de la saisir. Elle ne va pas se renouveler de sitôt : la France va présider l'Union Européenne et l'Allemagne a envie d'espace. Or, on sait bien que l'Europe spatiale se construit à partir d'initiatives franco-allemandes. La question est donc : va-t-il y avoir du répondant en France ? S'il y en a, c'est une opportunité unique pour sortir de la spirale du déclin. Le contexte est d'autant plus favorable que l'Italie et l'Espagne ont également envie d'Espace et que le Royaume-Uni est peut-être en train de se réveiller.

C'est-à-dire ?
L'Allemagne a fait de l'espace une priorité budgétaire. L'Espagne double son budget spatial en cinq ans. La France, dont la responsabilité historique en matière d'espace est considérable, doit se servir de sa présidence de l'Union européenne pour utiliser cette configuration astrale. Si ce n'est pas le cas, cela signifie que l'Europe se résigne inexorablement à son déclin relatif. En tant qu'industriels, nous nous adapterons, nous réduirons nos effectifs et nos compétences. Je ne m'exprime pas ici pour demander "des sous, des sous"... Je suis en train de dire : osons enfin donner une réponse politique et stratégique à un sujet politique et stratégique, comme le font les autres grands pays.

Quels projets pourrait traduire cette volonté spatiale ?
Dans le domaine civil, il s'agit de l'évolution d'Ariane 5, en particulier améliorer ses performances. Sait-on qu'en 2015 le lanceur chinois pourra mettre 15 tonnes en orbite géostationnaire contre 10 tonnes pour Ariane 5 ? Dans le domaine de l'environnement, du réchauffement climatique, l'espace peut apporter des solutions fiables et économiques. Troisièmement, il faut un soutien à la filière Télécom pour lui donner les armes pour lutter contre la parité euro-dollar. Avec un euro pour 1,50 dollar, comment voulez-vous survivre si vous n'avez pas quelques longueurs d'avance technologique ? Il faut compenser les fluctuations monétaires par de l'innovation et de la recherche. Enfin, je reste totalement convaincu qu'à la fois en termes de motivation des Européens pour l'espace et de positionnement stratégique de l'Europe, remettre un Européen dans l'espace dans un véhicule européen est un projet extrêmement porteur d'avenir. Nous avons des idées très concrètes qui ne consistent pas du tout à faire ce qui a déjà été fait, mais à utiliser intelligemment les actifs existants (Ariane 5, Colombus, ATV...) pour bâtir un projet permettant à un Européen de voyager dans l'espace à partir d'un vaisseau européen. C'est porteur d'une ambition et d'une motivation qui a une valeur extraordinaire. Cette vision peut être certainement partagée au moins en Allemagne et en Italie. Christophe Colomb n'était pas un robot ! L'aventure humaine n'a jamais de terme.

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