Le coaching, un outil pour annuler la souffrance mentale au travail

Frédérique Alexandre-Bailly, professeur à l'ESCP-EAP, souligne les bienfaits de l'accompagnement personnel pour vivre et réussir dans l'entreprise. Elle en souligne les écueils et l'effacement de la frontière entre la vie privée et vie professionnelle qui en est à l'origine et qui aussi en résulte.

J'ai toujours été frappée par le discours de certains coachs qui expliquent qu'il existe une frontière très marquée entre difficultés personnelles, à traiter avec le thérapeute et problèmes ou enjeux professionnels, accompagnés par le coach. Lorsque cette frontière est touchée, le coach expliquerait à son client que ce n'est plus de son ressort et que là, il faudrait qu'il consulte.

Mais, comment savoir à l'avance, dès la signature du contrat, si le manager coaché ne se révélera pas un patient, en demande d'aide ? N'y a-t-il aucun rapport entre le travail effectué avec le coach et l'apparition de cette demande d'aide ? Ne pourrait-on pas même suggérer que c'est la porte ouverte sur soi qui amène le sujet à toucher des éléments intimes, qui devraient alors aller se faire soigner ailleurs ?

Capacité réflexive des managers

On touche là à l'effacement de la frontière entre privé et professionnel. Si la différence concurrentielle se fait en partie par la capacité humaine à se tendre vers l'objectif, à être à l'écoute des signaux faibles, alors l'entreprise fait appel à l'ensemble de l'être humain, inconscient compris. Mais en y faisant appel, elle ne peut refuser son entrée massive, y compris dans ses aspects dérangeants.

On dit que le bon manager est celui qui a la meilleure capacité réflexive. Or il va de soi qu'un manager sera plus réflexif s'il a acquis la capacité à se connaître et à savoir comment il fonctionne, comment il réagit aux événements et aux autres. Du coup, le fait d'en passer par l'analyse devient un atout supplémentaire pour le manager contemporain.

Managers analysés

Mais comment concevoir une analyse utilitaire ? Une analyse qui ne passerait pas par la reconnaissance de sa propre souffrance, par l'écoute d'autres désirs que celui d'être performant. En combien de temps cette analyse professionnelle doit-elle ou peut-elle être efficace ? Est-ce à l'entreprise de la payer, ou doit-il s'agir d'un co-investissement ? En théorie, l'entreprise conseille à un de ses managers de se faire accompagner par un coach, accompagnement qu'elle paye pour servir la performance. Le coach ne rend pas compte au donneur d'ordre, mais aide le coaché à franchir un cap, à améliorer sa performance et/ou celle de son équipe.

En pratique, même s'il n'existe pas de chiffres officiels. On constate, à écouter les coachs, que le coaching aboutit parfois à une démission, un changement de projet, une prise de conscience qu'une partie du problème à l'origine de la prescription tenait à l'emploi lui-même, voire à l'entreprise, qui ne correspondait pas ou plus au sujet.

Souffrances psychiques et contre-performances

Et l'on retombe sur une question éternelle : la faute à qui ? Si le salarié n'est pas aussi performant que souhaité, est-ce parce qu'il présente des faiblesses par rapport à un modèle idéal ou parce que l'organisation est la source de ces faiblesses ? Encore faudrait-il préciser cette notion de source : de deux choses l'une, soit les situations et les systèmes managériaux contemporains sont à l'origine de souffrances psychiques, y compris pour les cadres les plus hauts placés, soit, et les deux hypothèses peuvent se combiner, les systèmes sont tels que ce sont ceux en partie ceux qui ont des souffrances psychiques latentes qui parviennent au sommet, jusqu'à ce qu'ils tombent sur des contre-performances.

Mais quelles sont exactement les contre-performances à l'origine de la prescription de coaching ? Alcoolisation, prise de drogues ou de médicaments ne sont pas inconnus des hautes sphères manageriales. Il semble difficile pour un seul sujet de faire face à tout ce qui est demandé. Vient alors la prescription, avant même qu'une demande d'aide se fasse entendre. Comme pour reboucher très vite la faille et rentabiliser un investissement de longue haleine.

L'entreprise et le manager d'aujourd'hui peuvent réussir sans la psychanalyse ? L'entreprise et les managers d'aujourd'hui peuvent-ils s'affranchir totalement de la société civile ? Soit dit en passant, le débat public sur les thérapies psychiques trouve un écho intéressant en entreprise : là pas de législation qui limiterait l'accès à la profession, mais une auto-organisation du marché qui ouvre malgré tout la place à un charlatanisme et un amateurisme d'autant plus dangereux qu'il est cautionné par l'employeur.

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