Le retour en beauté de "La Juive"

L'opéra de Paris recrée "La Juive", de Halévy, grand opéra romantique qui connut un immense succès au XIXème siècle avant de sombrer dans l'oubli. Un mélodrame plaidant pour la tolérance, musicalement et vocalement très intéressant.

L'exhumation de "La Juive", opéra en cinq actes qui a fait les grandes heures de l'Opéra de Paris au XIXème siècle, peut sembler incongrue. En fait, en cette période de regain des communautarismes religieux, ce plaidoyer pour la tolérance tombe à point nommé. Car ce n'est pas un hasard si l'opéra le plus connu de Jacques Fromental Halévy, lui-même issu d'une famille de juifs allemands, créée triomphalement en février 1835 à l'Opéra de Paris puis donné près de 600 fois, est passé à la trappe en 1934 au moment de la montée des fascismes et de l'antisémitisme. Ce retour est d'autant mieux venu que sur le plan musical et vocal cet opéra, qui marque un sommet du chant français, est loin d'être inintéressant.

Drame historique avec choeur et ballet au grand complet, comme on en raffolait à l'époque romantique, "La Juive" se situe à Constance en 1414 pendant un Concile qui consacre la victoire de l'église contre l'hérésie du tchèque Jean Hus. Le livret d'Eugène Scribe s'émeut des malheurs d'une jeune juive, Rachel (qui s'avérera être une chrétienne), fille du joaillier Eléazar, éprise d'un prince chrétien, Léopold, marié à la princesse Eudoxie, lequel se fait passer pour juif. On voit l'imbroglio !

Quoique ici raccourci, l'opéra s'étire sur plus de quatre heures (dont deux entractes) et donne lieu à un déploiement inouï de fastes avec grandes scènes de foule et procession d'ecclésiastiques en grandes pompes. Passé le cap du long tunnel d'exposition du premier acte, on se passionne pour l'intrigue fertile en rebondissements rocambolesques. Si les chrétiens sont montrés comme d'impitoyables fanatiques, le juif Eléazar ne l'est pas moins qui leur voue une haine inexpugnable. Les deux camps sont ainsi renvoyés dos à dos.

Plutôt bienvenu dans sa sobriété, le décor unique mais modulable, formé de tubulures, figure tour à tour la nef de la cathédrale de Constance ou la geôle où se morfondent Rachel et son père. Sobre également la mise en scène du britannique d'origine libanaise Pierre Audi mise sur les effets expressionnistes des lumières, notamment dans le tableau final où le plateau de la Bastille est embrasé par un bûcher rougeoyant.

A la tête de l'Orchestre de l'Opéra de Paris en grande forme dans ce répertoire, le chef israélien Daniel Oren donne toutes ses couleurs à la partition chatoyante tout en laissant le chant se déployer. Si les voix masculines ne laissent pas un souvenir impérissable, en revanche la confrontation entre les deux protagonistes féminines se révèle très intéressante. Dans le rôle de Rachel, la soprano italienne Anna Caterina Antonacci montre une grande maestria dans sa diction en français, servie par une voix pure, souple et puissante qui fuse dans les aigus. La soprano française Annick Massis ne lui cède en rien en princesse Eudoxie empreinte de noblesse.


Opéra Bastille, jusqu'au 20 mars, tél. 08 92 89 90 90, www.operadeparis.fr

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.