Air France : Autopsie d'un malaise

La grève des hôtesses et stewards du 25 au 29 octobre a secoué Air France. Depuis près de dix ans, la compagnie française accumulait les exercices bénéficiaires dans un climat social serein. Explications de ce conflit retentissant.

Comment une telle grève comme celle qui s'est produite du 25 au 29 octobre à Air France, a-t-elle pu arriver ? Alors que la compagnie se distinguait par un climat social apaisé depuis une dizaine d'années et que son Président, Jean-Cyril Spinetta, est un adepte du dialogue social.

Eléments de réponses.
Comme point du départ, il y a le malaise réel du personnel navigant commercial (PNC). "Les hôtesses et stewards font parti de ceux qui ont le plus fourni d'efforts au cours de ces dernières années", admettent des personnels au sol et des pilotes. Sur le moyen-courrier par exemple, où la concurrence des compagnies à bas coûts fait rage, la direction a imposé en 2004 une réduction du nombre de PNC par avion jusqu'à la limite règlementaire. En long-courrier, les nouveaux produits à bord, la reconfiguration de certains types d'avions a également augmenté la charge de travail. Quant aux salaires, ils ont augmenté de 17% au cours des trois dernières années selon la direction. Pour autant, leur système de rémunération, au forfait, est pénalisant. Il les empêche notamment de pouvoir gagner plus en cas de dépassement du seuil d'heures supplémentaires défini. Alors que les pilotes, eux sont payés, à la tâche. Les revendications salariales des PNC s'expliquent sur fond de frustration vis-à-vis des pilotes. Ces derniers très puissants à travers le syndicat SNPL Alpa, sont accusés d'obtenir satisfaction à chaque demande d'amélioration de leur rémunération. "Problème, explique un steward, c'est que l'on ne dit jamais que ces hausses de revenus sont la contrepartie de gains de productivité donnés par les pilotes à l'entreprise en augmentant les cadences". Et d'ajouter : "Cette rancoeur s'est décuplée en juillet dernier quand les pilotes ont obtenu de répartir l'intéressement non plus de manière quasi-unique, mais proportionnel au salaire. La direction a par ailleurs augmenté l'enveloppe de l'intéressement pour que chaque salarié gagne plus, mais le message n'est pas passé. Les PNC se sont dit pourquoi les pilotes et pas nous".

A cela s'ajoute, les fortes hausses de rémunération du Top Management et notamment du PDG Jean-Cyril Spinetta depuis plusieurs années. "Qu'on le veuille ou non, elles ne sont pas passées au sein du personnel", explique un cadre. "Et le discours de dire qu'Air France-KLM va très bien, alors que l'entreprise ne va dépasser que cette année un retour sur capitaux employés de 7%, pousse les gens à demander leur part du gâteau. La communication interne pourrait être meilleure". Cette grogne, commencée depuis deux ans, personne à la tête d'Air France ne l'a pas vu venir. Ni la direction des ressources humaines, ni celle des opérations aériennes ne l'avait perçue. La remontée des informations a été défaillante, dit on en interne. Jean-Cyril Spinetta s'est d'ailleurs déclaré surpris par l'ampleur du mouvement. Notamment celle des navigants sur long-courrier, habituellement peu habitués à débrayer. Ceci explique en grande partie les errements en termes de prévisions de vols, manifestement trop optimistes. Toutes les armes pour minimiser l'impact de la grève auprès des passagers (affrètements, communication, gestion des débarqués dans les aéroports) n'ont pas été à la hauteur.

Pour autant, les syndicats ont aussi leur part de responsabilité. En pleine négociation sur le renouvellement de l'accord PNC sur les salaires et les conditions de travail qui arrive à échéance le 2 janvier, ils ont lancé un préavis de grève très court. Un point de blocage s'est porté sur les salaires. Maladroite, la direction a indiqué que le renouvellement de l'accord collectif se ferait "à coûts constants", alors qu'elle savait très bien qu'il y en aurait un. En face, tout aussi maladroits, les syndicats demandaient une hausse de 20% des salaires, l'équivalent de 150 millions. "Certains d'entre nous savaient très bien que cette revendication était inacceptable et que pour avoir 1 il faut demander 2", explique un syndicaliste. D'autres en revanche se sont bloqués sur cette enveloppe. Et ont lancé la grève. "Ce n'est pas la méthode de Spinetta, qui vise d'abord à aborder tous les problèmes, avant de chiffrer les réponses", explique l'un de ses proche.

Les syndicats y sont allés fort. "Déposer un préavis de cinq jours -au moment des départs en vacances- au premier préavis ne s'est jamais vu", se souvient un ancien. Il y a deux principes en général. La technique de la guérilla, qui consiste à débrayer deux jours par mois (pour les syndicats faibles) ou comme le font les pilotes, négocier sous préavis pour mettre la pression sur la direction sans souhaiter réellement faire grève. "Là, nous avons assister à une nouvelle voie", explique un observateur. "Je ne comprends pas pourquoi la grève est allée jusqu'au bout. Au troisième jour, la démonstration de force était faite. La direction avait compris. C'était inutile de priver les salariés de deux jours de paye", regrette un syndicaliste.

Pour beaucoup d'entre eux, cette méthode est le fruit d'un manque d'expérience des nouveaux délégués syndicaux. "Cela ressemblait à une grève d'étudiants", explique un ancien. Ceci s'est visiblement traduit par un manque de maîtrise technique des dossiers. "Face à cela, ils ont demandé une enveloppe, méconnaissant totalement à qui ils ont à faire. On ne négocie pas avec Jean-Cyril Spinetta et Pierre-Henri Gourgeon (n°2) comme avec un directeur de superette. Ces derniers ne cèderont pas car ils savent très bien que s'ils le font ils mettront le feu à toute l'entreprise", observe un autre syndicaliste. D'autant plus que le Président d'Air France n'a pas apprécié certaines pratiques. Outre la demande d'un chèque avant de chiffrer les dossiers et le déclenchement de la grève avant même la fin de la négociation, Jean-Cyril Spinetta a regretté que les syndicats n'aient pas respecté le contrat de veille sociale. Signé en juin dernier, il prévoit notamment un préavis allongé (15 jours) pour laisser le temps de désamorcer les problèmes. Or, les signataires de cet accord, FO, l'Unsa et le SNPNC, ont maintenu leur préavis à cinq jours. La CGT aussi mais n'était pas signataire de l'accord. Au contraire de l'Unac, qui devant le risque juridique a repoussé son préavis. "La direction n'osera pas déposer plainte", affirment les autres. Manqué, elle les a assignées en justice pour grève illégale et leur demande 44 millions d'euros. Résultat. Ils vont devoir négocier avec cette épée de Damocles au dessus de la tête.

Cette méthode est mise sur le compte du renouvellement des effectifs des PNC (11.000 des 14.000 salariés ont été embauchés après 1995) et la montée des grandes centrales syndicales aux élections professionnelles, au détriment des syndicats corporatistes. "On trouve beaucoup de jeunes délégués dans les branches PNC des grandes centrales. Leurs méthodes sont différentes, explique un observateur. D'autant que leurs troupes, aussi jeunes, sont en train de les déborder. Enfin, l'unité syndicale de pure façade est en train d'éclater. Avec une intersyndicale (60% des PNC) qui a exclu la CGT, celle-ci est soupçonnée d'avoir voulu étendre le conflit à l'ensemble des personnels d'Air France.

Au final, la mobilisation n'a pas fait plier la direction. Cette dernière a réussi à relancer les négociations où elles s'étaient arrêtées avant le conflit. Elles vont s'accélérer jusqu'à la fin décembre. Soit elles aboutissent sur les bases de la direction. Soit non. Auquel cas d'autres mouvements de grèves sont inéluctables.

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.