Jean-Noël Reihnardt (Virgin) : "La France est en train de rater le virage historique de la création d'un secteur marchand dans l'économie numérique"

VirginMega, la boutique en ligne du distributeur Virgin spécialisé dans les produits culturels, vend depuis lundi 200.000 fichiers musicaux au format MP3, sans mesures techniques de protection (DRM) empêchant leur lecture sur un baladeur comme l' iPod d'Apple. Fnac.com, numéro 3 des ventes de musiques en ligne - derrière iTunes (Apple) et VirginMega - lui a emboîté le pas. Jean-Noël Reihnardt, président du directoire, explique cette initiative, qui vise à lever un frein au développement des plates-formes de téléchargement légal de musique.

La Tribune.- Pourquoi proposer des titres en vente sans DRM ?

Jean-Noël Reihnardt .- Nous faisons le constat que télécharger légalement de la musique est plus compliqué que le faire illégalement. Les DRM compliquent la vie du consommateur du fait de l'absence d'interopérabilité, c'est-à-dire de la liberté d'acheter un titre sur la plate-forme de son choix et de le transférer sur le baladeur de son choix (un iPod d'Apple ne lit que la musique achetée sur le site d'Apple iTunes - ou la musique non protégée - et réciproquement, un morceau protégé sur VirginMega avec les DRM Microsoft, ne peut être copié directement sur un iPod. NDLR).

Nous voulons faciliter l'accès au marché légal pour le consommateur, considérant que les gens qui téléchargent légalement sont honnêtes et respectueux de la création. On n'a donc pas à craindre qu'ils mettent à disposition la musique achetée, même sans DRM, sur les réseaux d'échanges illégaux.

C'est la politique propriétaire d'Apple - un système de protection de la musique exclusif à sa boutique en ligne et lu par ses seuls baladeurs - que vous visez ?

Non, notre cible est le consommateur. On veut lui montrer qu'on le respecte et qu'on cherche à lui faciliter la vie. Nous nous adressons aussi à l'ensemble de la filière musicale, en lui demandant de faire confiance aux consommateurs qui rémunèrent son travail. Pour l'instant, seuls les producteurs indépendants ont répondu à notre appel. Nous invitons les majors à nous rejoindre. Le sujet rencontre désormais un écho chez elles en France, alors qu'il y a six mois, l'idée d'absence de DRM était considérée comme iconoclaste. Mais leur siège sont souvent aux Etats-Unis et leur réflexion, mondiale...

La loi d'août 2006 sur les droits d'auteur (DADVSI) sur Internet prévoit la mise en place d'une autorité de régulation des mesures techniques de protection, qui devrait favoriser le développement de l'interopérabilité. Est-ce le retard de la mise en application de cette loi qui vous pousse à agir ?

C'est surtout le retard du marché français qui est en train d'être distancé sur la musique dématérialisée via Internet. On a perdu du temps dans la bataille franco-française autour du projet de loi l'an dernier. L'ambigüité des discours a été telle que le consommateur ne sait pas facilement ce qui est légal et ce qui ne l'est pas. Et chaque mois qui passe creuse l'écart.

La France, un des cinq grands marchés mondiaux pour la musique, pesait au 1er semestre 2006 8,3 % du marché mondial du CD. Le marché américain n'était que 5 fois plus important. Sur le marché numérique (hors logos et sonneries de téléphone), nous ne représentons plus que 2,4 % des ventes, 33 fois moins que le marché américain. Même en Allemagne, où les ventes de disques étaient plus faibles qu'en France, le marché en ligne est 1,8 fois supérieur au nôtre.

La France est en train de rater un virage historique: celui de la création d'un secteur marchand dans l'économie numérique. Par là même, elle est en train de renoncer à ce qui a fait la richesse et la diversité de sa création musicale. Pendant que l'on débat en France, le marché mondial s'organise. Le risque, c'est de ne plus pouvoir offrir de débouchés dans cette nouvelle économie numérique aux artistes français en développement.

En tant que président du Syndicat des détaillants spécialisés dans le disque (SDSD), vous proposez aussi des pistes pour redynamiser le marché du CD. Lesquelles ?

Les ventes physiques de CD représentent encore 95 % de l'activité économique de la filière musicale. On ne peut les négliger. L'étude réalisée par GfK pour le SDSD montre que les acheteurs réguliers de musique continuent à trouver une valeur à ce support et à l'affectionner. Mais ils réclament de la valeur ajoutée, sous forme de bonus DVD, d'informations sur l'artiste...

Et surtout, ils demandent une politique tarifaire lisible: un prix plus élevé à la sortie d'une nouveauté, compris entre 11,6 euros à 14,39 euros selon la notoriété de l'artiste, et un prix réduit autour de 9 euros pour un album de fonds de catalogue.

Or, le prix moyen de marché du fonds de catalogue, de l'ordre de 13,45 euros aujourd'hui, est trop élevé, tandis que la multiplication d'opérations de promotions incite les acheteurs à attendre. Il faut cesser ce yo-yo sur les prix qui fait qu'un album comme la musique du film "Les Choristes" a pu changer 8 fois de prix en 18 mois. Pour les détaillants, c'est une piste de réflexion à mener avec les producteurs de disques.

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