Un Don Juan peut en cacher un autre

Avec "La Nuit de Valognes", le romancier Eric Emmanuel-Schmidt revisite le mythe de Don Juan. Le séducteur impénitent, en plein trouble identitaire, est mis face à un curieux dilemme.

Six femmes, un homme. Le temps d'une nuit d'orage à Valognes, quelque part en Normandie. On conspire au vaste royaume des victimes de Don Juan. La duplicité personnifiée ou plutôt "la scélératesse montée sur bottes", comme le définit une de ses anciennes conquêtes. La pièce s'ouvre sur un rebondissement. Des amantes délaissées veulent instruire le procès du libertin. Le combat commence.

Au départ, Don Juan, costume noir et air crâne de circonstance, nargue ses détractrices. Les six victimes toutes de blanc vêtues portent tour à tour le masque de la colère, de la nostalgie, ou de la passion aux cendres pas tout à fait éteintes. Mais elles ne sont pas là pour ça, leur passé est derrière, pensent-elles. Don Juan est pris au piège, c'est le mariage imposé ou la prison! Sacrilège pour celui qui prétend ne vivre que pour son plaisir. Pis, il accepte sans mot dire! Mais qu'est-ce qui lui prend donc? Une bonne dose de persiflage élégant entre ces dames, un Don Juan qui n'a rien perdu de son verbe et de son flegme face aux tons accusateurs. L'ambiance est installée.

On se frotte les mains mais on comprend que le sémillant coquin semble désormais usé, vieilli. Il n'a le goût de rien. Même si ses réparties font mouche, le coeur n'y est pas. Il apparaît perturbé. Pour la première fois de sa vie, il ressent quelque chose d'indéfinissable. Il finit même par concéder entre deux soupirs, "c'est un dur coup pour l'orgueil de savoir qu'on est autant lié à l'autre". Quel "autre"?

Le procès prend un tour intéressant parce que Don Juan l'imperturbable, celui qui a réponse à tout, est clairement troublé. Une ambiguïté laisse planer le suspense sur la scène. Les victimes ne sont pas si fragiles en fait et des sentiments inavoués, des non-dits remontent à la surface avec regards en coin, messes basses, suspicions. La mise en scène de Régis Santon (il tient aussi le rôle de Sganarelle) est très cinématographique, digne d'un polar. Les scènes sont fixes comme les décors et les costumes. Les ellipses sur les discussions féminines insufflent davantage de mystère.

A grand renfort de retours en arrière, on s'efforce de résoudre l'énigme. L'auront-elles, cette vengeance tant ruminée à l'issue de ce déballage public alors que rien ne se passe comme prévu? Comment juger "ce qui n'est plus"? Cette réécriture du mythe qui parle d'amour et de désir avec beaucoup d'humour, mérite le détour.


Jusqu'au 6 janvier 2008 au Théâtre Sylvia Monfort, Parc Georges Brassens, 106 rue Brancion, 75015 Paris. Réservations: 01 56 08 33 88.

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