Les romans mettant en scène de grandes figures historiques constituent un créneau éditorial foisonnant. Julian Barnes jouait tout récemment avec Sir Arthur Conan Doyle, Norman Mailer vient de sortir aux Etats-Unis "Le Château dans la forêt" qui se penche sur l'enfance d'Hitler. "Les Arpenteurs du monde" de l'allemand Daniel Kehlmann s'ajoute à la liste, traînant derrière lui une réputation d'exception avec ses ventes outre-Rhin tournant autour des 750.000 exemplaires.

Dans ce roman qui suscite tant de passions, Kehlmann met en parallèle les destins de deux scientifiques allemands légendaires: l'explorateur Alexander von Humboldt et le "Prince des Mathématiques", Carl Friedrich Gauss. Le premier, issu d'une famille aristocrate, choisit d'échapper à son quotidien douillet en partant tumultueusement parcourir le monde. Le second, fils d'artisans, autrement plus casanier, voyage par l'esprit. Deux tempéraments opposés mais un même génie, une même folie démesurée en ce début du 19e siècle.

C'est une Allemagne romantique que Kehlmann nous donne à voir. Pour la faire ressurgir, il ponctue son récit d'épisodes emblématiques. Ainsi assiste-t-on, au détour d'un paragraphe, à la création du mètre étalon, ou encore à l'une des premières démonstrations de vol en ballon. D'autres sont franchement cocasses. La rencontre improbable entre Gauss et Kant, en particulier, est un moment anthologique de drôlerie.

A la fin du roman, Kehlmann fait se croiser les deux scientifiques. Les interrogations continuent à se bousculer dans leurs esprits mais le ton a changé, plus désabusé. Amertume pour l'un, stérilité créative pour l'autre. Ils ont passé leur vie à mesurer le monde pour en percer les mystères. Aux nouvelles générations de prendre la suite.


"Les Arpenteurs du monde" de Daniel Kehlmann (Actes Sud, 300 pages, 21 euros)