Alliance Boots cultive son statut d'intermédiaire

Alliance Boots a fait l'objet en juin dernier du plus important LBO de l'histoire sur une société du Footsie 100, l'indice des valeurs phares de la Bourse de Londres. Dans une interveiw accordée à la Tribune, Ornella Barra, directrice de la division distribution de gros fait le point sur le groupe.

La Tribune: En l'espace d'un an, le groupe Alliance Boots a connu des transformations considérables : d'abord la fusion entre Alliance Unichem et Boots, ensuite la sortie de la Bourse via un rachat de la compagnie par son actionnaire principal, en association avec le fonds KKR. Dans quelle direction allez-vous ?
Ornella Barra : Le groupe a effectivement beaucoup évolué en un an. Le sens de ces opérations est que le nôtre est un groupe dynamique, qui cherche des opportunités, qui veut créer de la valeur pour les actionnaires et les salariés, qui veut se positionner en force sur un marché, celui des produits et des services de santé, qui est en train de changer en profondeur. Je travaille dans ce secteur depuis vingt-cinq ans et je peux vous dire que les évolutions en cours sont réelles et importantes. Alliance Boots veut anticiper ces buoleversements pour en saisir les opportunités.

De quels changements s'agit-il ?
Il y a d'abord l'Europe: un vent libéral souffle à Bruxelles, avec des projets d'ouverture du marché de la pharmacie dans les pays de l'Union. Une décision est attendue à la fin de 2007 ou au début de 2008. Il y a ensuite de nouveaux acteurs qui entrent, ou qui souhaitent entrer dans ce secteur, comme les supermarchés et les grandes surfaces, qui concurrenceront ainsi les pharmacies traditionnelles. Il y a enfin les laboratoires pharmaceutiques, dont l'ambition de suivre l'évolution de leurs produits de la sortie de l'usine à la vente au consommateur final menace le modèle de distribution existant.

Un an après la fusion entre Alliance Unichem et Boots, un distributeur au détail, comment se positionne donc le nouveau groupe ?
La fusion a apporté des avantages mutuels aux deux entités. Boots, qui était une grande société en Grande Bretagne mais peu présente à l'international, a désormais l'opportunité de faire partie d'un ensemble européen et mondial ; alors que Alliance Healthcare [nouveau nom de la branche d'activité "répartition" du groupe], dont la dimension européenne est en revanche une réalité depuis des années, peut envisager de développer la commercialisation de nouveaux produits et services aux pharmaciens. Alliance Healthcare est présent dans une vingtaine de pays surtout européens, mais aussi en Russie et en Chine. Nous avons l'intention de nous développer également dans d'autres continents. La répartition est le chemin pour pénétrer un pays, le comprendre, et pour ensuite développer également la pharmacie et la distribution au détail, ainsi que les produits à notre marque.

Est-ce que vous vous intéressez à cette activité de distribution de détail parce qu'elle apporte des marges supérieures à l'activité de gros ?
Ce sont deux métiers différents. Bien sûr, les marges de la répartition sont plus faibles et il faut beaucoup d'efforts pour dégager de solides bénéfices. Ceci alors que les actionnaires de l'entreprise demandent chaque année de taux de croissance des bénéfices à deux chiffres. Un exercice difficile, dans un marché plat comme il l'est aujourd'hui. Mais les marges n'étaient pas notre objectif quand nous avons fait la fusion avec Boots. Notre idée consistait à créer une grande société spécialisée dans le domaine de la santé, créatrice de valeur. Boots offrait cette opportunité, d'autant plus que la marque Boots rencontre aussi du succès sur les produits. Au Royaume-Uni, Boots détient ainsi 20 % de part de marché dans les produits cosmétiques.

En Grande Bretagne, Alliance Boots détient des positions solides à la fois dans la répartition et la distribution au détail. Comptez-vous dupliquer ce modèle en Europe ?
Non. Chaque pays est différent. Le succès d'Alliance Boots réside dans sa capacité à s'adapter aux réalités locales. Nous avons une stratégie européenne, que nous déclinons ensuite différemment suivant les pays. D'ailleurs, dans la majorité des pays il n'est pas aujourd'hui possible d'acheter des pharmacies. Nous n'encourageons pas de modification de législation en ce sens, mais si un changement devait avoir lieu, nous devrions forcément nous adapter à cette nouvelle donne. La Commission européenne a demandé à cinq pays (France, Italie, Autriche, Espagne, Allemagne) de donner un avis sur la libéralisation du monopole des pharmacies. Ces avis sont attendus fin 2007 début 2008. Bien sûr, il existe en Europe une certaine tendance à la libéralisation, mais ce n'est pas une réforme que nous appuyons particulièrement. Je suis moi-même pharmacienne, et j'ai donc une attitude favorable aux pharmaciens. Mais si l'Union Européenne décidait demain que le marché doit s'ouvrir à d'autres acteurs que les pharmacies, mon groupe doit savoir s'adapter. Cela n'est pas toujours compris par les pharmaciens, qui ne prennent pas pleinement la mesure de la menace constituée par l'arrivée éventuelle de nouveaux acteurs tels que les supermarchés.

Quelles est votre stratégie vis-à-vis des pharmacies ?
Aujourd'hui, Alliance Healthcare livre ses produits et services à 125.000 pharmacies en Europe, soit la moitié des points de vente du continent, ce qui nous crée une relation très forte avec elles. Nous avons des intérêts convergents que les supermarchés n'ont pas, puisqu'ils peuvent s'approvisionner directement auprès des laboratoires. Les pharmacies ont encore du mal à comprendre qu'elles ont intérêt à s'allier aux répartiteurs pour évoluer . Quand des changements ou des moments difficiles surviennent, il faut faire des propositions, il faut prendre l'initiative. C'est ainsi que vous trouvez des solutions. Ce n'est plus le moment de dire non.

Que se passera-t-il si Bruxelles décidait en 2008 de libéraliser le marché des pharmacies ?
Dans cette perspective, nous étudions des réponses avec les pharmacies. C'est dans ce cadre que nous avons lancé le concept de la "chaîne virtuelle" Alphega Pharmacie, qui offre toute une panoplie de services aux pharmacies indépendantes, leur permettant de ne pas rester isolées, mais au contraire d'évoluer. Les chaînes virtuelles reposent sur deux principes clés : les pharmacies restent indépendantes, et notre offre de produits et services est modulaire, c'est-à-dire que les pharmacies peuvent choisir parmi un éventail de solutions, de la présentation des médicaments jusqu'à la gestion de l'enseigne.

Quels sont vos objectifs dans ce domaine ?
Notre réseau de chaînes virtuelles existe déjà en France, en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas, en Grande Bretagne. Nous les lancerons l'an prochain en République Tchèque et en Russie. Elles sont la démonstration de notre volonté de rester aux côtés des pharmacies indépendantes, de les aider à évoluer dans un environnement en pleine mutation, en leur offrant des services supplémentaires. En France, notre objectif est de doubler la taille de notre chaîne virtuelle en deux ans, de 360 pharmacies adhérentes aujourd'hui à 700. Au niveau global, nous voulons passer de 1.600 à plusieurs milliers d'ici à trois ans. L'objectif est de faire d'Alphega Pharmacie le plus important réseau de pharmacies indépendantes du monde.

Comment voyez-vous la consolidation entre les acteurs de la répartition géographique en Europe ?
En Europe nous sommes déjà le n° 1 des répartiteurs en termes de parts de marché et de chiffre d'affaires (avant la sortie de la Bourse, nous étions le n° 2 dans le monde en termes de capitalisation boursière après Cardinal). Notre objectif est désormais de devenir une société globale. En Europe, nous souhaitons nous développer dans les pays où nous sommes déjà présents. Cela sera moins évident, pour des raisons d'antitrust, dans certains pays où nous sommes déjà puissants (Grande Bretagne, France), plus facile peut-être dans les pays où le potentiel est encore important (Italie, Espagne). Sinon, nous visons la Russie, où nous avons acquis un répartiteur local, et la Chine, où nous avons créé une société commune avec un acteur local. L'Asie et l'Amérique du Sud sont nos nouvelles cibles. Notre angle de recherche est de 360 degrés, nous sommes ouverts aux opportunités d'où qu'elles viennent, pourvu qu'elles soient rentables. Notre stratégie est globale.

La consolidation en Europe n'est-elle pas déjà avancée ? Les trois premiers répartiteurs contrôlent 46% du marché...
Pas vraiment. Aux Etats-Unis, les trois premiers contrôlent 90 % du marché, donc tout est relatif. Surtout, le degré de consolidation n'est pas le même partout. On compte trois importants répartiteurs en France, en Grande Bretagne aussi. Mais il existe vingt-cinq grands acteurs en Espagne, et quarante en incluant les plus petits. Sans oublier l'Italie qui en compte encore 130.

Comment voyez-vous le marché français ?
La France est un pays très important puisqu'elle représente plus du tiers du chiffre d'affaires d'Alliance Healthcare. Notre part de marché y atteint 28 % et nous sommes ouverts à de nouvelles opportunités dans la répartition. Nous avons par ailleurs une relation très forte avec les pharmaciens, qui considèrent Alliance Healthcare comme un partenaire disponible, ouverte et proche de leurs intérêts. Les chaînes virtuelles sont un exemple de notre engagement sur ce marché.

Vous avez signé l'an dernier un accord exclusif de trois ans avec Pfizer, pour distribuer ses produits à prescription en Grande Bretagne, non seulement dans les pharmacies, mais aussi aux hôpitaux, aux supermarchés... Quel est le sens de cet accord ?
Le monde change, et de nouveaux acteurs entrent en jeu. L'accord avec Pfizer au Royaume-Uni, mis en application en mars dernier, en fournit un bon exemple. Pfizer reste le propriétaire du produit, mais le service est mené par le répartiteur partenaire. Avant cet accord, Alliance Healthcare fournissait déjà 6.000 pharmacies ; au lendemain, nous avions du coup 15.000 clients, en incluant les pharmacies, centres de santé, les dispensaires et les hôpitaux. Au début, les autres répartiteurs en Europe n'étaient pas convaincus de la pertinence de notre initiative. Moi, je crois qu'il faut être ouvert au dialogue. La preuve : un autre accord, non exclusif cette fois, a été signé récemment avec AstraZeneca, D'autres pourraient suivre (Sanofi-Aventis vient précisément d'annoncer un contrat de ce type avec Alliance Healthcare ndlr)

Pourquoi Pfizer, et les laboratoires en général, acceptent de coopérer avec un répartiteur, alors qu'ils envisagent de court-circuiter les intermédiaires ?
Ils ont compris qu'ils n'ont pas intérêt à sous estimer le rôle des répartiteurs, car nous sommes très utiles par exemple lorsqu'il s'agit de combattre la contrefaçon. Aussi, je pense que les laboratoires, confrontés à la concurrence des génériques, souhaitent désormais se concentrer sur la recherche et le développement, afin de sortir les "blockbusters" qui font la différence en termes économiques. Ce qu'on observe, c'est en fait une rationalisation de la filière, avec des mouvements de concentration d'un côté, et des alliances de l'autre. Notre objectif, en tant qu'Alliance Healthcare, est de créer un véritable partenariat stratégique avec les laboratoires et les pharmacies. C'est un point fondamental, c'est la vraie clé de réussite. Alliance Healthcare est l'acteur et l'intermédiaire qui peut et veut réunir les deux autres grands participants à la chaîne de valeur de l'industrie pharmaceutique. Notre logique est d'être la liaison indispensable qui apporte à la pharmacie le meilleur du laboratoire. Le rôle du répartiteur change : hier, il était le lien entre le laboratoire et la pharmacie ; aujourd'hui, il devient le lien entre les gouvernements, qui restent des acteurs importants parce qu'ils payent, les assureurs dans certains cas, et le reste de la filière.

Comment avez-vous réagi face aux difficultés qu'a rencontrées le fond KKR pour reprendre Alliance Boots par LBO ?
Ces turbulences sur les marchés financiers ne nous ont pas affectés. Le groupe est sorti de la cote en juin et l'opération, en ce qui nous concerne, est entièrement réalisée

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