Clemenceau, un grand fauve en politique

Michel Winock dresse un portrait enlevé de Clemenceau qui redonne toute son épaisseur à un homme politique passé à la postérité comme le "premier flic de France" et le "Père la victoire" en 1918.

En historien spécialiste de la gauche française, Michel Winock ne pouvait méconnaître la vie de George Clemenceau (1841-1929). Dans une solide biographie, il dessine un portrait bien différent de l'homme politique passé à la postérité: un ministre de l'intérieur ("le premier flic de France") honni des syndicalistes et des socialistes puis l'homme de la Grande guerre ("le père la victoire"). Pour Winock, pas de doute: Clemenceau, qui a longtemps incarné à lui tout seul la gauche républicaine, "a été un homme de gauche maudit par la gauche".

Son parcours politique l'atteste. Entre les années 1870 et les années 1890, le Tigre a défendu, dans l'opposition, un radicalisme de combat pour que toutes les promesses de la Révolution de 1789 soient mises en oeuvre rapidement. Laïcité, réformes sociales, libertés publiques... Clemenceau veut tout, tout de suite. Et gare aux ministres trop tièdes. Ce député implacable est vite surnommé "le tombeur de ministères", tant ses discours enflammés et son éloquence peuvent retourner la Chambre lors d'un vote de confiance. Ses ennemis jurés furent ces républicains "opportunistes", tels Gambetta puis Jules Ferry, qui se sont vite illustrés par leur immobilisme.

Ce médecin de formation a débuté sa carrière politique comme maire du XVIIIe arrondissement de Paris en 1870, cette "année terrible" qui voit l'insurrection de la Commune succéder au siège de la capitale par les Prussiens. Son premier combat politique sera pour obtenir dés 1876 une amnistie totale des condamnés de la Commune. Ses amis Louise Michel et Blanqui lui seront reconnaissants de cette action bien solitaire dans une assemblée hostile à tout pardon...

Autre originalité du personnage mise en évidence par l'auteur, son anti-colonialisme sincère qui l'amène à s'opposer à toutes les conquêtes territoriales, depuis l'affaire du Tonkin jusqu'à la crise de Tanger de 1905.

Michel Winock décrit aussi les rebondissements d'une carrière politique hors norme: un retrait provisoire de la vie publique après son implication dans le scandale de Panama, son combat acharné pour la défense des droits de l'homme lors de l'affaire Dreyfus, et bien sûr sa nomination comme ministre de l'Intérieur, puis comme président du Conseil. L'épreuve du pouvoir va modifier son image: face à la montée en puissance de la gauche socialiste, Clemenceau se rapproche de la droite jusqu'à incarner "l'ennemi du peuple" lors des grandes grèves de 1906-1907, puis "l'ennemi de la paix" quand, en 1917, il relança la machine de guerre jusqu'à la victoire finale.

Ce portrait passionné d'un homme passionnant pourra être complété par une biographie plus complète, le "Clemenceau" de Jean-Baptiste Duroselle (réédité chez Fayard) mais aussi la belle biographie illustrée "Clemenceau, portrait d'un homme libre" signée Jean-Noël Jeanneney (éditions Mengès).


"Clemenceau", de Michel Winock. Perrin, 570 pages, 26 euros.
A lire aussi du même auteur: "La gauche en France", un recueil d'articles parus dans la revue "L'Histoire" (Perrin collection Tempus).

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