D'Aerospatiale à EADS : le rêve contrarié du Boeing européen

Si EADS réfléchit à devenir moins dépendant des ventes d'Airbus, ce n'est pas nouveau. Cela fait près de quinze ans que cette réflexion a été lancée en France, bien avant la naissance du groupe. Sans réponse très convaincante jusqu'à maintenant.

C'était il y a une petite quinzaine d'années. A l'époque, le champion français de l'aéronautique et de l'espace était un groupe public. Il s'appelait Aerospatiale. Il était dirigé par un homme qui s'appelait Louis Gallois, auparavant président du motoriste aéronautique Snecma, autre groupe public.

Chaque année, Aerospatiale réunissait quelques journalistes pendant un week-end pour faire un point complet sur sa stratégie. Il y avait de quoi nourrir ces séances de travail car le groupe était à la fois au coeur du système Airbus (avec ses usines et son précieux bureau d'études de Toulouse), de la fusée Ariane dont il réalisait la plus grande partie, des hélicoptères qui allaient devenir Eurocopter ou des missiles comme le best-seller Exocet qui viendraient composer quelques années plus tard la société européenne MBDA avec les Italiens et les Britanniques.

Mais déjà, à ce moment-là, la direction d'Aerospatiale s'inquiétait de voir monter les ventes d'Airbus au détriment de ses autres activités et commençait à réaliser qu'elle devenait de plus en plus dépendante de cette florissante activité d'avions civils. La question se posait déjà: comment rééquilibrer la tendance et faire grossir la partie défense, systèmes et services?

Le modèle existait lui aussi déjà: c'était Boeing, dont la partie défense représentait peu ou prou la moitié des ventes et une bonne part des profits. Un point fort idéal pour compenser les cycles de l'aéronautique civile qui connaît des hauts puis des bas au rythme d'environ une dizaine d'années. Alors que les ventes d'armement sont plus stables et surtout outre-Atlantique profitent des marges octroyées par le Pentagone. Pour les firmes européennes, ce sont les contrats à l'exportation qui assurent les bénéfices sur ce type d'activité.

Pour symboliser cette stratégie de rééquilibrage de ses activités, Aerospatiale avait conçu un graphique avec de grosses boules, la sienne penchant fortement du côté civil pour son périmètre alors que celle de Boeing était bien équilibrée au milieu de la courbe quand d'autres champions américains comme l'électronicien de défense Lockheed Martin voyaient leur boule s'orienter davantage vers le côté armement.

Quinze ans plus tard, force est de constater que rien ou presque n'a changé. Aerospatiale a beau avoir été cédé par l'Etat français à Matra Défense Espace du groupe Lagardère puis l'ensemble Aerospatiale-Matra marié à son homologue allemand Deustche Aerospace du groupe Daimler pour constituer (avec l'espagnol Casa) le groupe EADS, ce dernier, dirigé aujourd'hui par... Louis Gallois, n'a pas résolu l'équation de sa trop grande dépendance à Airbus, bien au contraire, et cherche toujours une solution. L'arrivée du très gros porteur A380, dont chaque vente va faire entrer des centaines de millions d'euros dans les comptes d'EADS, ne va rien arranger.

Une solution avait pourtant été trouvée il y a deux ans: lancer une offre sur le grand électronicien de défense français Thales ce qui aurait permis de renforcer du coup le secteur armement du groupe. Tout était prêt, les Allemands avaient donné leur accord - tout en veillant à ce que cette opération très française ne leur fasse pas perdre leur moitié du pouvoir... jusqu'à ce qu'ils découvrent que Paris tentait d'en profiter pour faire évoluer la gouvernance d'EADS en n'imposant qu'un homme à sa tête, le français Noël Forgeard. Fureur outre-Rhin et arrêt immédiat du projet.

L'occasion depuis ne s'est pas représentée. Certes, EADS a fait connaître son intérêt pour certaines activités de défense de l'ex-Sagem, désormais mariée à Snecma au sein du groupe Safran. Mais cela ne constituerait qu'un rééquilibrage partiel. De même, EADS peut espérer développer les activités de services pour différentes armées en Europe ou ailleurs comme la gestion des systèmes satellitaires ainsi qu'il l'a obtenu au Royaume-Uni. Ce type de contrat public-privé n'existait pas il y a quinze ans et constitue une vraie opportunité de développement. Sans pour autant répondre tout à fait à la problématique stratégique qui se pose toujours à la maison-mère d'Airbus.

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