Trois soeurs et un destin

Entre deux siècles - 19 et 20ème - et entre deux époques, Tchekhov écrit "Les trois soeurs". Au théâtre de La Colline à Paris, la mise en scène que propose Stéphane Braunschweig inscrit avec justesse ce trouble que peut provoquer le passage entre deux mondes, deux sociétés.

Au début du printemps, Stéphane Braunschweig présentait sa mise en scène des "Trois soeurs" de Tchekhov en son théâtre, le TNS de Strasbourg. Nous avions aimé ses partis pris de faire sentir, par le jeu des comédiens et par la scénographie qu'il a élaborée, combien cette pièce révèle un changement d'époque, et ipso facto un changement de culture.

Là, Tchekhov montre un 19ème siècle qui s'efface pour faire place à un 20ème porteur d'une modernité espérée mais tellement difficile à saisir, troublante même pour ne pas dire inquiétante. Les trois jeunes soeurs - Olga, Irina et Macha - d'à peine plus de 20 ans ressassent leur envie de retourner à Moscou, capitale de leur enfance, mais restent piégées dans un gros bourg de province, comme condamnées à y rester. Quant à leur frère, Andreï, il se montre peu nostalgique.

Un siècle nous sépare de la naissance de ces "Trois soeurs" et les transformations de notre société contemporaine ne manquent pas de mystères et de difficultés non plus.

En arrivant sur la scène du théâtre de La Colline à Paris, la proposition de Braunschweig n'a rien perdu ni de sa clarté, ni de son actualité. L'organisation du plateau illustre simplement les deux mondes qui s'affrontent et les années qui passent: en avant scène, un espace dépouillé, moderne, et en fond, légèrement surélevée, une salle à manger à l'ancienne.

Et puis il y a dans ces "Trois soeurs", une autre jeune femme. Celle qui finit par être la belle-soeur, Natalia Ivanovna. Avec son pragmatisme bien assis sur les valeurs montantes de l'embourgeoisement à tout prix, elle affiche sa "modernité" tant dans sa tenue façon tailleur très moulant et coloré que dans ses façons de traiter librement son Andreï de mari et ses enfants. Le contraste des jeux est saisissant. On passe du rire au drame sans coup férir.

Mais la cohésion saute aux yeux dans cette production où tous les comédiens devraient être cités. La plupart d'entre eux sont issus de l'école du TNS. L'idée de troupe est très importante pour moi", nous confiait à Strasbourg Stéphane Braunschweig. Les quatre jeunes femmes sortent de cette école. "Des rôles magnifiques pour elles", précisait le metteur en scène, ajoutant "'Les Trois soeurs' sont au début de leur vie d'adulte alors que souvent on les fait jouer par des plus âgées. Comme ça, elles font écho aux inquiétudes des jeunes d'aujourd'hui. J'ai joué sur les écarts entre le temps de Tchekhov et aujourd'hui." Comme il l'écrit dans son livre "Petites portes, grands paysages" (Actes Sud. Collection Le Temps du Théâtre): "Tchekhov a en fait écrit une pièce sur la jeunesse: une jeunesse qui se perçoit sans avenir et échouée dans un monde trop vieux. Et cela fait naître une angoisse bien particulière...". Totalement actuel.


"Les Trois soeurs" jusqu'au 23 juin au Théâtre de la Colline Paris. Tél: 01 44 62 52 52. La revue du TNS 'OutreScène' du mois de mai, riche de nombreux propos de gens de théâtre, interroge notamment des "metteuses en scène" sur le thème: le théâtre a-t-il un genre? Ajoutons que cinq spectacles de Stéphane Braunschweig sont proposés en DVD.

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