Voyage au bout de l'enfer

Dans "Quatre ans avec les Khmers rouges", un biologiste cambodgien raconte sur son engagement révolutionnaire, de l'euphorie à la désillusion puis au dégoût. Un témoignage sobre et émouvant sur ce terrible génocide.

Quels sont les rouages qui mènent à la barbarie et à la négation la plus radicale des droits humains ? C'est un témoignage précieux que nous livre Hour Chea dans "Quatre ans avec les Khmers rouges" : il permet d'observer ce régime sanguinaire de l'intérieur et tenter de comprendre comment un tel génocide a pu se produire. En près de quatre ans, d'avril 1975 à janvier 1979, les Khmers rouges ont éliminé un quart de la population cambodgienne : 1,7 millions de personnes froidement exécutées ou mortes de faim et d'épuisement.

"Nous avions un idéal, un rêve, celui de voir notre peuple vivre dans le bonheur et dans la prospérité, confesse naïvement Hour Chea. Malheureusement nous nous sommes trompés. Les Khmers rouges nous ont bernés, hypnotisés par de belles théories. Nous avons cru en eux aveuglément. Nous nous sommes laissé manipuler et traîner comme un troupeau de bovins sur le chemin de l'abattoir...". Dans un style simple et direct, il décrit cette terrible descente aux enfers d'un peuple qui a cru abattre un régime violent et corrompu en portant au pouvoir des révolutionnaires qui ont puisé dans les pires dérives de Staline et Mao les moyens d'avilir leur propre peuple.

Jeune biologiste cambodgien étudiant en France, Hour Chea raconte son embrigadement à Paris, ses séances "d'éducation politique", son enthousiasme révolutionnaire. De retour au "Kampuchéa démocratique", peu après la prise du pouvoir par les hommes de Pol Pot, l'auteur passe par un centre de rééducation où alternent travaux dans les rizières et séances d'autocritique. Puis il est transféré à l'Ecole polytechnique de Phnom Penh où ses compétences de biologistes lui valent d'enseigner... l'hydroélectricité à des paysans illettrés qu'il est censé former en trois mois !

Par petites touches, Hour Chea campe cet univers ubuesque qui a perdu ses repères et qui obéit à des slogans effrayants comme ce leitmotiv de Pol Pot : "Pour enlever l'herbe, il faut arracher ses racines". La culture khmère est complètement annihilée et le refus du savoir occidental érigé en dogme (les pages du dictionnaire Larousse servent de papier toilette !). Chez cet homme intelligent, le doute s'insinue et se mue vite en désillusion, puis en peur panique quand les purges se multiplient. Dans un sursaut, Hour Chea se révolte contre cette dictature folle et parvient à fuir en Thaïlande pour trouver ensuite refuge en Suisse, où il bâtira une nouvelle vie loin des fantômes de son pays natal.


"Quatre ans avec les Khmers rouges", de Hour Chea. Préface de Jean Lacouture. Editions Tchou, collection Ingérences, 260 pages, 14,95 euros.

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.