Défiscaliser et détaxer les heures supplémentaires n'ira pas de soi

La proposition de Nicolas Sarkozy est vivement critiquée par les syndicats pour les effets d'aubaine qu'elle pourrait créer au détriment de l'emploi, et le manque à gagner pour la protection sociale. En outre, elle pourrait être contraire au principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant l'impôt.

Le slogan de campagne de Nicolas Sarkozy visant à permettre à tout salarié qui le souhaite de "travailler plus pour gagner plus" n'est pas encore mis en oeuvre qu'il a déjà du plomb dans l'aile. Simple sur le papier, ce slogan doit se traduire dans les faits par la détaxation et la défiscalisation des heures supplémentaires. Les heures de travail effectuées au-delà de la durée légale de 35 heures hebdomadaires seraient ainsi exonérées de cotisations sociales (salariales et patronales) et non soumises à l'impôt sur le revenu. Par cette mesure, le nouveau chef de l'Etat espère augmenter le salaire net des travailleurs et résoudre la question du pouvoir d'achat, en tête des préoccupations sociales de bon nombre de Français.

Sauf que la traduction dans les faits de cette disposition dérogatoire n'est pas si simple, et ce pour plusieurs raisons. D'abord, une telle mesure est en contradiction avec l'organisation des entreprises, et en particulier avec le lien de suborbination qui régit le relation de tout salarié avec son employeur. Car si les heures supplémentaires peuvent être effectuées sur la base du volontariat, un salarié à qui l'employeur demande d'en effectuer ne peut pas le refuser. En outre, même si un salarié souhaite effectuer des heures supplémentaires, il ne peut en aucune façon l'exiger: les heures supplémentaires sont fonction de l'activité de l'entreprise, donc du carnet de commandes.

En outre, les heures supplémentaires, qui donnent lieu à une majoration salariale et/ou à un repos compensateur, ne concernent ni les salariés à temps partiel (les heures complémentaires au-delà de la durée du travail prévue dans le contrat de travail ne sont pas majorées), ni les salariés dont le temps de travail est annualisé par un accord d'entreprise, ni ceux au forfait (les cadres notamment, dont le temps de travail quotidien n'est pas décompté). "Les salariés n'ont pas le choix de faire ou de ne pas faire des heures supplémentaires", a rappelé le secrétaire général de la CFDT François Chérèque mardi sur RMC Info. Le syndialiste a d'ailleurs senti une "inflexion" du nouveau chef de l'Etat sur ce sujet lors de leur entrevue lundi. Et il n'est pas le seul. Nicolas Sarkozy "s'aperçoit lui-même que la clause du volontariat pour faire des heures supplémentaires n'existe pas en droit social", a constaté le secrétaire général de la CGT Bernard Thibault.

Outre celle du volontariat, la mesure souhaitée par le président de République pose deux interrogations d'ordre macroéconomique. En rendant l'heure de travail supplémentaire moins chère que l'heure normale, le législateur inciterait les entreprises à faire faire davantage d'heures supplémentaires à leurs salariés plutôt que d'embaucher. Cet effet pervers sur l'emploi est même chiffré à plusieurs dizaine de milliers de pertes d'emplois par an par certains économistes. Cela peut aussi constituer un moyen, pour l'employeur, d'accroître le revenu de tout ou partie des salariés sans pour autant procéder à une augmentation générale des salaires, qui, elle, est soumise à imposition et charges sociales.

Parallèlement, cette disposition constituerait un manque à gagner pour la protection sociale, et donc une dépense supplémentaire pour l'Etat qui doit compenser toute perte de recettes à la Sécurité sociale du fait des exonérations. Celle-ci pourrait être de l'ordre de plusieurs milliards d'euros, même s'il est difficile d'anticiper le coût de la mesure, par définition fonction du nombre d'heures supplémentaires effectuées dans l'année. En outre, si les heures sup étaient entièrement exonérées de cotisations sociales, les salariés seraient pénalisés pour leur retraite, car ils n'auraient pas cotisé sur ces heures-là, rappelle François Chérèque.

Enfin, la défiscalisation des heures supplémentaires pose un problème juridique et fiscal non négligeable. D'abord, elle pourrait être contraire au principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant l'impôt. Les salariés qui n'effectuent pas d'heures supplémentaires dans une entreprise seraient ainsi discriminés par rapport à ceux qui en font, car privés d'une rémunération complémentaire défiscalisée. Pour un avocat spécialiste en droit social, la discrimination ne peut être invoquée dans ce cas car "la différenciation de rémunération est une compensation, la contrepartie de quelque chose de spécifique".

Autre argument avancé, la défiscalisation des heures sup serait contraire au code général des impôts, selon lequel tous les revenus donnent lieu à imposition sans limitation, si ce n'est le bouclier fiscal. "Il y a un risque d'illégalité de cette mesure", constate Vincent Drezet, du Syndicat national unifié des impôts (Snui). Pour éviter une sanction du juge administratif, "il est possible que le code général des impôts soit modifié, en faisant référence au code du travail par exemple", estime-t-il. Aujourd'hui, à peine 37% des salariés effectuent des heures supplémentaires au moins une fois par an, pour une durée moyenne annuelle de 55 heures. Un volume très en-deça du contingent légal actuellement de 220 heures sup par an par salarié qui, s'il était appliqué, constituerait l'abrogation de fait des 35 heures.

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