Augustin de Romanet : "La Caisse des Dépots dispose d'une force de frappe d'une soixantaine de milliards d'euros"

Dans une interview accordée à La Tribune, le directeur général de la CDC revient sur les conséquences de l'adoption de la loi de modernisation (LME) de l'économie sur son établissement. Il explique sa stratégie d'investissement et son rôle de fonds souverrain à la française.

La Tribune : L'adoption de loi sur la modernisation de l'économie (LME) transforme-t-elle profondément la Caisse des Dépôts?
La loi définit désormais la Caisse des Dépôts comme "un investisseur de long terme qui contribue dans le respect de ses intérêts patrimoniaux au développement des entreprises". La CDC est donc clairement identifiée comme un investisseur et non plus comme une institution financière polymorphe, présente à la fois dans les métiers bancaires, de marché et d'investissement. La LME est à la fois une confirmation, puisqu'elle s'inspire de notre plan Elan 2020, une clarification et un renforcement de notre institution puisque notre rôle de premier financeur du logement social dans le cadre du Livret A est conforté.
La loi crée enfin le comité d'investissement dont j'avais souhaité la mise en place après les critiques qui nous avaient été faites sur les conditions de notre entrée dans EADS. Personne, désormais, ne pourra douter des motifs pour lesquels la Caisse des Dépôts réalise tel ou tel investissement financier. Enfin, je me réjouis que la Commission bancaire puisse garantir que la CDC est aux meilleurs standards de sécurité financière, en sachant que ces nouveaux contrôles se feront sous la houlette de la Commission de surveillance.

Le président Nicolas Sarkozy veut faire de la Caisse des Dépôts un fonds souverain à la française. Quelle en est la définition ?
En tant qu'investisseur institutionnel de long terme, nous avons un point commun extraordinairement important avec trois catégories d'acteurs financiers dans le monde : les fonds de pension, les grandes fondations américaines et les fonds créés par des Etats pour assurer aux générations futures un retour minimum sur leurs exportations actuelles de matières premières non renouvelables. Le pétrole, par exemple. Notre caractéristique commune est d'avoir un passif qui nous autorise à avoir un couple rendement-risque plus élevé, à être investisseur en actions de façon plus importante et pour des durées plus longues que les "hedge funds" ou les banques d'affaires. La crise financière vient de mettre en lumière de façon éclatante la nécessité pour les entreprises de bénéficier de financements longs et sécurisés. C'est particulièrement vrai en Occident, où les taux d'épargne sont faibles.

Si une grande entreprise française, une banque par exemple, se trouvait en mal de financement, quelle devrait être l'attitude de la Caisse des Dépôts ?
Il existe deux hypothèses : soit la souscription à une augmentation de capital d'une entreprise se justifie par son intérêt intrinsèque, et je ne vois pas pourquoi je n'exercerais pas mon droit d'investisseur avisé. Soit il existe une défaillance de marché, et nous nous trouvons dans un tout autre cas de figure. Notre intervention ressortirait alors de l'intérêt général. Je ne me déroberai pas à ma responsabilité de débattre de cet intérêt général avec Michel Bouvard président de la Commission de surveillance et les membres qu'il aura désignés pour faire partie du comité d'investissement. Nous serions dans un cas de figure très difficile, mais notre statut nous oblige à l'affronter. Notre action ne doit pas perturber le marché, mais il est hors de question que notre inaction puisse être perçue comme une fuite devant nos responsabilités.

Cela fait-il de la Caisse des Dépôts un chevalier blanc obligé en cas d'OPA hostile sur une société du CAC 40 ?
Il faut raison garder. Nos moyens sont limités et ne nous autorisent pas à jouer ce rôle. Ils nous obligeront probablement à nous concentrer sur les entreprises vraiment stratégiques pour la France. Chaque dossier sera un jugement d'espèce.

Quelle est votre force de frappe aujourd'hui ?
Je suis prudent sur les chiffres car au-delà d'un certain montant, cela ne veut plus rien dire. En juxtaposant les actions détenues par la section générale de la CDC, la section des fonds d'épargne, le Fonds de réserve des retraites, et ce que détient en propre notre filiale CNP Assurances, nous arrivons à une soixantaine de milliards d'Euros

Comment pourriez vous augmenter ces moyens?
La meilleure façon d'augmenter nos moyens est d'avoir une bonne performance de notre portefeuille et un résultat annuel aussi élevé que possible. Pour le reste, il nous appartient d'optimiser notre bilan et de nouer le maximum de coopérations possibles pour créer un effet de levier. Ce sera l'une des conséquences de la coopération que nous allons créer au sein du club des investisseurs de long terme auquel nous travaillons.

De quelle coopération pourrait-il s'agir?
L'objectif principal, qui aurait justifié à lui seul la création de ce club est celui d'un partage d'expériences, d'une mutualisation de nos connaissances et de nos contraintes. Mes premières discussions avec des investisseurs de long terme, notamment du Moyen-Orient, font apparaître que nous avons beaucoup plus de sujets en commun que nous ne l'imaginions et nous sommes heureux de nous retrouver entre pairs pour mutualiser nos savoir faire et nos connaissances. A ce stade, j'ai déjà noué une quinzaine de contacts que je vais prolonger, notamment en Asie. Je n'exclus pas de travailler avec des fonds chinois. Nous avons un agenda de discussions. C'est la mission confiée à Jean Sebeyran.

Nicolas Sarkozy vous a-t-il promis des moyens supplémentaires?
Le président de la République n'attend pas des problèmes, mais des solutions... J'y travaille activement.

Vous avez inclus dans votre force de frappe le portefeuille de CNP Assurances. Cela exclut donc toute cession de votre participation dans cet établissement ?
Nous partageons avec La Poste et les Caisses d'Epargne un attachement très fort à cette société performante.

Allez vous participer à un tour de table au capital de La Poste?
Si la CDC devait entrer au capital de La Poste, ce serait avec une logique d'investisseur financier même s'il peut être de l'intérêt général que cette entreprise ait un actionnaire stable avec une culture de long terme comme l'est la Caisse des Dépôts.

La réforme du livret A était un des grands enjeux de la loi "LME". L'équilibre trouvé vous paraît-il satisfaisant?

La réforme du livret A est un succès. Elle permet de préserver les missions d'intérêt général attachées au privilége fiscal de ce placement financier. L'honnêteté oblige à dire que dès lors que cette réforme conduit à diviser presque par deux le montant des commissions versées aux réseaux distributeurs de ce livret, elle va permettre de diminuer d'autant le coût des prêts aux bénéficiaires des enveloppes du Livret A, ce qui sera très favorable au logement social.

En 2012/2013, les besoins financiers du logement social et de la politique de la ville devraient atteindre un pic. La Caisse des Dépots pourra-t-elle assumer ses responsabilités?

Ce besoin sera mieux garanti qu'auparavant puisque la loi dispose que la CDC pourra en permanence compter sur des ressources supérieures de 25% au montant des encours de prêts au logement social et à la politique de la ville.

A trop parler de fonds souverain, la Caisse ne risque-t-elle pas d'oublier ses missions d'intérêt général ?
Bien sûr que non! La loi précise les missions d'intérêt général de la CDC. Celle-ci se voit chargée "de la protection de l'épargne populaire, du financement du logement social, de la gestion d'organismes de retraite". La Caisse des Dépots "contribue au développement économique local et national, particulièrement dans les domaines de l'emploi, de la politique de la Ville, de la lutte contre l'exclusion bancaire et financière, de la création d'entreprises et du développement durable". Enfin, la loi précise que la CDC "peut exercer des activités concurrentielles", par l'intermédiaire de ses filiales.

A avoir trop de priorités, on en a plus...
Vous avez raison, c'est pourquoi avec élan 2020 j'ai fixé 4 priorités.le logement, les universités, les PME et l'environnement Le défi désormais est de les rendre lisibles pour l'extérieur et de décliner ces priorités avec nos collaborateurs. C'est pourquoi, pour la première fois dans l'histoire du groupe, je réunirai le 18 septembre les 1.900 cadres de l'établissement public autour d'un thème commun : "Une équipe qui gagne".

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