Jack London : l'écorché vif de la littérature américaine

Jennifer Lesieur signe un portrait enlevé du grand romancier américain, chantre de l'aventure virile et défenseur de l'humanité souffrante. Une belle biographie à compléter par la lecture d'un inédit de Jack London, "Carnet du trimard", le récit d'une traversée des Etats-Unis avec les laissés pour compte du rêve américain.

"Le plus beau des romans de Jack London, c'est sa vie", soulignait Francis Lacassin, grand spécialiste du romancier américain dans sa présentation des oeuvres complètes en français. C'est bien la sensation qui domine à la lecture de la belle biographie que consacre Jennifer Lesieur à l'auteur de "Croc blanc" et "Martin Eden". Comment ne pas être fasciné par la trajectoire fulgurante de Jack London (1876-1916)? Avant de vivre de sa plume, l'homme a tâté de tous les métiers: ouvrier, pilleur d'huître dans la baie de San Francisco, marin sur une goélette chasseur de phoque et bien sûr chercheur d'or en Alaska. Des années de jeunesse marquées par la souffrance d'un foyer éclaté, d'une dépendance à l'alcool qui le détruira à petit feu et d'un sentiment d'échec professionnel à répétition...

Et pourtant, note Jennifer Lesieur, ces années de galère, riches en souvenirs et en rencontres, constitueront autant de pépites d'or qu'il n'a pas rapportées du Yukon. En opérant un va-et-vient constant entre sa vie et ses romans, elle met en lumière à quel point son expérience personnelle a nourri son univers romanesque. Son année passée avec les chercheurs d'or (il fréquente plus les bars que le lit des fleuves!), ses errances sur la route avec les exclus du rêve américain ou son voyage sur le "Snark" dans le Pacifique sud se retrouvent en filigrane de nombre de ses romans.

Le succès de Jack London tient bien sûr à ses romans d'aventure qui font rêver les lecteurs. Mais le public apprécie aussi qu'il leur parle des problèmes de son époque, une période de mutations sociale et économique que la littérature américaine tend à ignorer. L'auteur du "Talon de fer" ou du "Peuple de l'abîme" (un terrifiant reportage sur les quartiers miséreux de Londres) ose remettre en cause le modèle capitaliste en pointant du doigt les dérives du système, à l'instar d'Upton Sinclair, un autre romancier révolté trop méconnu en France.

Jennifer Lesieur écrit de superbes pages sur les contradictions du personnage: son engagement politique dans les rangs du parti socialiste qui ne résiste pas à son embourgeoisement d'auteur adulé; ses idées progressistes de démocratie et d'égalité des chances qui s'opposent à sa philosophie de la sélection naturelle basée sur la force, inspirée de Spencer et Darwin, qui imprègne nombre de ses écrits. "Quel écrivain n'a pas son lot d'erreurs derrière ses fulgurances?", constate-t-elle. Et c'est précisément l'aspect profondément humain de son oeuvre qui explique le succès durable de ses écrits. "Jack London a tenté de créer sa propre légende, mais ce sont ses failles, ses côtés déglingués qui le rendent attachant", conclut-elle.

Ce portrait tout en nuances est à compléter par la lecture d'un manuscrit inédit débusqué par Jennifer Lesieur lors de ses recherches en Californie. "Carnet du trimard" retrace la grande marche des chômeurs en 1894 à travers les Etats-Unis. Jack London a 18 ans quand il part sur la route "brûler le dur" avec les laissés pour compte de la crise économique. Ce journal laisse entrevoir les révoltes du futur écrivain et notamment sa découverte du socialisme.

Pour découvrir l'oeuvre de London, les lecteurs français disposent de l'excellent travail de Francis Lacassin qui a édité la quasi-totalité de ses romans et récits chez Robert Laffont, dans la collection Bouquins (six volumes), repris en poche chez 10/18. Autre initiative à saluer, celle des éditions Phébus qui ont entrepris une réédition en poche de ses textes dans de nouvelles traductions, plus fidèles aux originaux. Le dernier titre paru, en 2007, est "Construire un feu" (collection Libretto, 192 pages, 7,50 euros)


"Jack London", de Jennifer Lesieur. Editions Tallandier, 416 pages, 25 euros.
"Carnet du trimard", Tallandier, 112 pages, 15 euros.

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