Travailler sur des logiciels en langue étrangère ? La justice répond par la négative ...

Le TGI de Paris vient de condamner une entreprise à traduire un programme utilisé par ses salariés de l'anglais en français. Si elle ne se conforme pas à ce jugement, l'entreprise devra payer 5.000 euros par jour de retard.

Peut-on encore demander aux salariés de travailler sur des logiciels en langues étrangères ? A cette question simple, le tribunal de grande instance de Paris (1) vient de répondre par la négative en condamnant une société à traduire en français les logiciels et documents entrant dans le cadre d'un ERP déployé au sein du groupe NextiraOne auquel la société appartient. NextiraOne est un groupe international dont l'activité principale est l'intégration, le déploiement et l'exploitation de solutions de communication dans les domaines de la voix, des données, de la vidéo et des applications de mobilité et de sécurité.

Le litige soumis au tribunal est né dans le cadre du déploiement au sein de l'ensemble des entités juridiques du groupe, en France et ailleurs, d'un progiciel spécifique permettant de partager une base de données unique et commune dans le but de coordonner l'ensemble des activités, verticales et horizontales, autour d'un même système d'information. Par souci de cohérence, il était prévu que ce progiciel serait déployé dans sa version anglaise partout dans le monde.

Consciente de l'importance de la langue, NextiraOne France avait pris en compte les observations des élus et mis en place un didacticiel, une sorte de mode d'emploi, en français permettant de guider l'utilisateur dans l'utilisation du progiciel.

Le tribunal considère que ce didacticiel n'est pas suffisant. Il décide en effet que "l'obligation de traduction s'applique à tous les documents matériels ou immatériels tels que des logiciels nécessairement utilisés par les salariés pour exécuter leur travail" et qu'un didacticiel ne saurait constituer "un équivalent à une interface en langue maternelle et compenser les écrans en langue étrangère".

L'un des arguments mis en avant par le tribunal est le "handicap important" que constitue l'usage d'une langue étrangère par un salarié "à défaut d'une maîtrise parfaite" de la langue. On peut s'étonner de ce constat alors que le ministre du travail avait admis, dans une réponse ministérielle du mois d'août 2007, qu'une langue étrangère puisse être utilisée dans les relations de travail au sein des groupes internationaux. Or, il ne fait pas de doute que NextiraOne, représentée en Amérique du Nord,Amérique du Sud et dans plusieurs pays européens, constitue le type de groupes internationaux auquel le ministre faisait référence.

Peut-être cette décision s'explique-t-elle par le fait que de nombreux salariés de NextiraOne France sont issus du groupe Alcatel et ont donc une approche très nationale de leur activité. Le tribunal a sans doute tenu compte de cette particularité au moment de rendre son jugement.

La décision rendue par le tribunal de grande instance de Paris est également intéressante en ce qu'elle ordonne la mise en place de la version française du progiciel avant le 1er octobre 2008, sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard passé cette date. On constate en effet une augmentation des condamnations sous astreinte ayant pour objet de forcer une obligation de faire via des sanctions financières qui peuvent s'avérer onéreuses pour les sociétés.

Une autre particularité de cette décision est de rappeler les droits du CHSCT, intervenant volontaire à la cause, dans un tel débat. Le tribunal admet le rôle du CHSCT dans la protection de la santé physique et mentale des salariés mais lui dénie le droit d'exercer une action en justice "au nom des salariés", le CHSCT n'ayant pas "intérêt et qualité relativement à une prétention personnelle" dans ce litige. Le CHSCT est dès lors déclaré irrecevable en son action. Au regard de nombreuses décisions récentes amplifiant le rôle du CHSCT, cette décision se limite à une interprétation stricte des textes, qui mérite d'être soulignée.

Mise en perspective, la décision rendue par le tribunal de grande instance de Paris n'est cependant pas surprenante dans la mesure où elle s'inscrit dans la droite ligne de décisions rendues par la cour d'appel de Versailles en 2006 et le tribunal de grande instance de Nanterre en 2007, que nous avions évoquées dans la Newsletter du mois d'octobre 2007 et qui ordonnaient déjà la traduction de documents en langue étrangère lorsque ceux-ci étaient utilisés par les salariés dans le cadre de leur travail. Il convient désormais d'attendre que la Cour de cassation se prononce sur cette question.

1 : TGI Paris, 6 mai 2008, Comité Central d'Entreprise et Syndicat CGT c/ NextiraOne France.

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