Ni drame, ni comédie

Avec "Jouer avec Nicomède", Brigitte Jaques-Wajeman démontre que l'oeuvre de Corneille peut être sans cesse renouvelée. En plaçant le spectateur au coeur du théâtre, elle décloisonne le classique et insuffle un élan de modernité à cette tragédie de l'homme seul.

Encore un Corneille! Collégiens et autres lycéens traînent presque les pieds à l'idée d'aller voir un auteur qu'ils croient bien connaître. Pourtant, Corneille lui-même a révélé avoir eu envie de provoquer chez le spectateur non plus la crainte et la pitié mais une certaine forme d'admiration pour le héros. Ce "Jouer avec Nicomède" ne propose ni plus ni moins que de jouer avec l'oeuvre mais aussi avec les protagonistes de la pièce.

C'est avec audace et clairvoyance que Brigitte Jaques-Wajeman met en scène cette pièce et profite de toutes les possibilités du texte dans ce qu'il dit et suggère pour mieux le dépoussiérer et lui apporter un souffle résolument nouveau. "Jouer avec Nicomède", c'est l'équilibre du comment exploiter les mots tout en leur restant fidèle pour créer à la fois une tragédie politique et une comédie de moeurs.

Nicomède, valeureux général de retour de guerre, vient prendre ce qui lui revient de plein droit: la tête du royaume de Bithynie (la Turquie actuelle) dont la capitale porte d'ailleurs le nom de Nicomèdie. Mais c'est sans compter sur la présence de sa belle-mère, la reine Arsinoé, une harpie fourbe et cruelle qui manigance en sous-main pour que le trône revienne à son fils à elle, le jeune Attale. Mention spéciale à la comédienne Sophie Daull qui, dans son interprétation de cette marâtre, véritable mante religieuse, est tout simplement délicieuse.

Le père de Nicomède, Prusias, souverain vieillissant qui apparaît souvent la couronne à la main, se rallie à la cause de sa femme. Et puis la reine, dans ses projets machiavéliques, peut s'appuyer sur Flaminius, le diligent ambassadeur de la toute puissante Rome "maîtresse du monde.". Nicomède ne peut qu'entrer en résistance contre l'Etat, contre son pays et contre sa famille. Il trouve en Laodice, princesse arménienne en exil, la femme qu'il aime, le soutient dans cette quête de liberté qui peut le mener vers la mort.

La mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman est traversée de toutes ces intrigues. L'action est clairement exposée. Chaque personnage pense tout haut, se fâche, s'interroge et le public est prêt à en faire autant. Brigitte Jaques-Wajeman propose un théâtre participatif. La scène centrale est matérialisée par une longue table de banquet bien mise en vue par des lumières jamais éteintes. Les comédiens vont, viennent, s'assoient entre les spectateurs et lancent leurs répliques depuis leur place. Si bien que le spectateur devient lui aussi un personnage. Tantôt sujet de la cour, tantôt invité à partager un repas, tantôt témoin d'une querelle familiale ou de discussions de couloirs.

Ce jeu se révèle sans artifice. Cette volonté de coller au réel est amplifiée par le choix des costumes, modernes et classiques. L'oeuvre de Corneille n'est ni dénaturée, ni profanée. Cette représentation la fait totalement vivre. Chaque mot est savouré, interprété, même exulté. Et le public est séduit.


"Jouer avec Nicomède" jusqu'au 17 février au Théâtre de la Tempête - Cartoucherie de Vincennes, 75012 Paris. Locations: 01 43 28 36 36.

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