La délicate conduite de la rupture

La réforme de l'Etat se heurte aux pesanteurs bureaucratiques et psychologiques. Thierry Bellot, président du cabinet d'audit et de conseil Bellot, Mullenbach et associés, et Laurent Paumelle, associé en charge du conseil en management et du secteur public, en soulignent les enjeux.

La gestion de la réforme de l'Etat du président de la république est en passe de devenir un cas d'école en matière de management public. Quelques-uns ont pu se gausser de ce qui a été présenté comme un système de notation des ministres. Les mêmes d'ailleurs s'interrogeaient sur le pouvoir exorbitant prêté au secrétaire général de l'Elysée, s'inquiétaient de l'omniprésence médiatique du président ou encore ramenaient la politique d'ouverture à de simples turpitudes personnelles. Ces mesures ont pourtant au moins un point commun : elles relèvent toutes des techniques de conduite de changement bien connues des consultants pour implanter durablement dans les entreprises les évolutions voulues par leurs dirigeants.

Voilà bien longtemps que les consultants et les entreprises ont compris qu'il était plus facile de concevoir une belle solution - un beau discours - que de la déployer dans toute organisation humaine, naturellement inquiète de l'incertitude créée par un changement. Certains placards sont encore remplis de rapports écrits par des firmes de conseil aussi irremplaçables les unes que les autres. Il est désormais admis que la valeur ajoutée du consultant réside au moins autant dans son talent pour imaginer le progrès que dans celui de créer les conditions de sa mise en oeuvre.

Dans le secteur public, cette évidence s'impose d'autant plus nettement qu'il est relativement aisé de déceler des améliorations dans des structures souvent complexes et la plupart du temps empesées par la sédimentation des réformes successives. Dans un tel environnement, la principale question n'est pas le "quoi", mais plutôt le "comment" et surtout le "qui".

La première clé du succès de tout changement est en effet son "sponsoring": un projet sans leader est mort avant même d'avoir été entrepris, un projet avec plusieurs leaders est déjà sur la voie de l'enlisement, un projet pas assez sponsorisé aura un résultat inversement proportionnel à la longueur de la ligne hiérarchique en amont de son leader. La communication est le principal levier du sponsoring. Tout changement, par nature anxiogène, est consciemment ou inconsciemment rejeté à terme. Le leader doit donc en permanence rassurer, mais aussi réaffirmer sa détermination à mener à bien son projet.

Le leader doit aussi avoir un intérêt à agir. Si l'intérêt d'une réélection dans cinq ans ou du maintien au gouvernement n'est pas à démontrer, comment mobiliser les forces vives de l'administration qui auront à mener ce changement dans un environnement plutôt encouragé jusque-là à ne pas faire de vagues ? La mise en place d'indicateurs de résultat n'est pas un système puéril de notation. Il vise d'abord à renforcer le sens de l'action en la quantifiant. Il sert aussi et peut-être surtout à mettre sous tension l'ensemble de l'administration, car les ministres ne manqueront pas de répercuter leurs objectifs dans les lettres de mission diffusées aux directeurs d'administration centrale.

Doit-on faire piloter le changement par la structure ? La mise en place de la réforme est évidemment subordonnée à son appropriation par les acteurs internes mais, dans un secteur public peu habitué aux mouvements d'envergure, l'introduction de nouveaux intervenants est indispensable : les ministres d'ouverture qui ne doivent leur place qu'au président, mais aussi la nouvelle place occupée par ses collaborateurs directs, sont autant de chemins de traverse créés dans les différentes administrations pour stimuler les comportements collectifs et individuels.

De nombreux ingrédients techniques sont donc aujourd'hui réunis pour réformer une administration qui en comprend d'ailleurs les finalités car elle connaît mieux que quiconque ses marges de progrès. Il manque toutefois une dimension essentielle : la motivation personnelle des fonctionnaires. Pour quelques-uns se mobilisant spontanément sur une réforme par goût intellectuel, les plus nombreux resteront prudemment sur un quant-à-soi vieux comme l'Esprit des lois.

Les ministres passant, les fonctionnaires restent en découvrant tôt ou tard qu'une erreur - pourtant inévitable dans tout changement - pèsera davantage qu'un succès qui, au demeurant, ne sera pas forcément reconnu. Inverser ce paradigme est l'une des clés d'une réforme qui doit être aussi l'occasion de créer de nouveaux postes de débouchés, à la hauteur de talents aujourd'hui trop souvent sous-utilisés.

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