Gina Davies, que l'auteur ne cesse de nommer "la poupée", se déshabille avec ennui chaque soir au Chairman's Lounge, une boîte huppée de Sydney. Elle s'y trémousse pour oublier qu'elle vient d'une banlieue déshéritée et qu'elle a subi un père attoucheur. Si elle ne peut encore se payer cet appartement qu'elle voudrait tant décorer elle-même, elle ne cesse pourtant de compter les billets de 100 dollars qui lui filent entre les doigts. Bref, une fille paumée aux rêves ordinaires.

Le jour, ou plutôt la nuit, où elle rencontre le beau Tariq, ce rêve devient cauchemar. Au réveil, celui qui a effectué nombre de voyages au Pakistan disparaît. La ville est alors en pleine crise d'angoisse, une furie "d'après 11 septembre" collective.

La vision succincte de "la poupée" au bras du supposé terroriste sur une bande vidéo de surveillance d'immeuble par un journaliste à la carrière déclinante prend des proportions démesurées: l'amie du présumé affilié d'Al-Quaida devient aussitôt l'ennemi public de toute l'Australie. Il ne lui reste plus qu'à fuir l'hystérie générale, entretenue par des médias avides et des politiciens dévoyés.

Le récit, qui se lit d'une traite, commence en douceur, l'auteur prenant tout son temps pour décrire ses personnages, surtout son héroïne, d'abord artificielle, puis de plus en plus humaine au point d'être le contrepoint de la médiocrité de la société qui l'entoure. Le rythme ensuite s'accélère d'une manière étonnante. Ecrit d'une plume acerbe dans un style direct, le roman n'est pas que noir: il se présente comme une charge contre les dérives sécuritaires d'une collectivité qui entretient ainsi sa propre angoisse. Un livre haletant.


"La fureur et l'ennui" par Richard Flanagan, traduit par Renaud Monin, Belfond, 346 pages, 21 euros