Deux films cadeau du Festival de Cannes

"Valse avec Bachir", documentaire d'animation d'Ari Folman, film très réussi sur le travail de mémoire d'un soldat israélien enrôlé dans la première guerre du Liban. Et "Leonera" de l'Argentin Pablo Trapero, formidable portrait d'une jeune mère derrière les barreaux.

Après une ouverture ratée avec "Blindness", le festival de Cannes a pris son rythme de croisière. Et offert coup sur coup aux festivaliers ébaubis deux excellents films qui, à des titres divers, mériteraient tous deux une place au Palmarès.

On sait que le cinéma israélien est en pleine effervescence, on ne compte plus ses succès internationaux. A 43 ans, Ari Folman figure comme l'un des auteurs les plus brillants d'une génération très créative. Parti du documentaire de télévision, il invente, pour son troisième long métrage de cinéma, un genre nouveau, le documentaire d'animation, et réussit pleinement l'aventure.

Aussi bien sur le plan du graphisme, très fouillé, d'une beauté rare (signé Yoni Goodman), que sur celui de la narration, conférant aux personnages une épaisseur, une intensité, une complexité inégalées dans le cinéma d'animation.

En fait c'est sa propre histoire que raconte Ari Folman, ou plutôt qu'il tente de raconter puisque, lorsque débute le film, il avoue en avoir perdu tout souvenir. Il sait juste que jeune recrue de 17 ans complètement terrorisée, il était à Beyrouth au moment de la première guerre du Liban, au début des années 80, mais ne se souvient que des rêves générés par cette période éminemment traumatisante. Il a même oublié qu'il a été témoin (comme ses camarades et comme tout le peuple israélien) des atrocités commises par les phalangistes chrétiens contre les réfugiés palestiniens du camp de Sabra et Chatila, en septembre 1982.

Vingt après, les retrouvailles avec un ami qui a vécu la même expérience vont le mettre sur la piste de son propre passé. Ce travail, qui tient de la thérapie psychanalytique, ne se fait pas sans mal, il a duré quatre ans, confie Ari Folman, le temps d'accoucher de ce film d'animation totalement nouveau.

Pour remonter la piste du passé, Ari ne se contente pas de consulter les psychiatres, il interroge ses anciens compagnons d'armes, si bien qu'une bonne partie du film consiste en interviews de témoins de son passé (dont les voix ont été conservées). Entre rêves puissamment oniriques et brutal retour aux réalités de la guerre, le film est traversé de moments d'une grâce inouïe, comme celui où un soldat israélien pète les plombs dans Beyrouth saccagée et danse avec les balles sur une valse de Chopin (d'où le titre du film).

A mesure qu'ils resurgissent, les souvenirs d'Ari renvoient à d'autres souvenirs et à d'autres atrocités, vécus par ses parents, rescapés d'Auschwitz, et avec la mémoire du jeune soldat c'est toute la mémoire de la nation israélienne qui remonte à la surface.

La sortie du film dans les salles françaises est annoncée pour le 25 juin, nous en reparlerons à ce moment-là.

De l'autre bout du monde, d'Argentine - pays lui aussi en pleine effervescence cinématographique - nous est parvenu un film qui a tout du chef d'oeuvre. A 36 ans, son auteur, Pablo Trapero, n'est pas un inconnu sur la Croisette, on garde un grand souvenir d' "El Bonaerense", l'histoire d'un ignoble flic corrompu, présenté à Un Certain regard en 2002.

"Leonera" bluffe d'emblée le spectateur par ses inventions techniques, presque entièrement tourné dans l'exigüité d'une prison, avec des solutions de tournage aussi invisibles que performantes. De plus, le film révèle une très grande actrice, Martina Gusman, épouse du réalisateur, qui est de tous les plans, et qui, pour son premier grand rôle, s'impose comme une figure inoubliable, une Magnani latino. Avec son réalisateur de mari, elle partage de mérite de prendre le spectateur aux rets d'une fiction très réaliste, et de ne plus le lâcher jusqu'à la dernière seconde de projection.

Le film débute comme un fait divers sanglant. Une jeune femme de 26 ans, Julia, enceinte de quelques mois, découvre un soir en rentrant chez elle le corps de deux hommes: le père de son enfant et l'amant de celui-ci grièvement blessé. Incapable de se souvenir des circonstances du meurtre, elle se retrouve fissa en prison, dans le quartier des femmes mères ou enceintes. On imagine la difficulté de cette fille, qui est manifestement de bonne famille, à s'adapter à pareil environnement d'une crudité et d'une violence inouïes. D'autant qu'elle ne désire pas son enfant et fait tout pour s'en débarrasser.

Mais lorsque lui arrive un petit garçon, les choses changent du tout au tout. La jeune femme, condamnée à une peine de dix ans, s'accroche à son enfant avec l'énergie du désespoir. Mais, c'est la règle en prison, le garçon va lui être enlevé à l'âge de 4 ans. Telle une lionne (d'où le titre du film), Julia va tout mettre tout en oeuvre pour conserver son petit, entraînant dans sa cause le spectateur fasciné par une telle énergie, par une telle force de conviction.

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