David Miliband : "L'Europe prospère quand elle est ouverte"

Dans une interview à La Tribune à la veille du sommet européen, le ministre des Affaires étrangères britannique, David Miliband, veut corriger la perception d'une Grande-Bretagne "eurosceptique". Il affirme que l'époque des réformes institutionnelles est terminée et qu'il faut désormais faire travailler l'Europe sur les dossiers concrets, dont le changement climatique. Il définit le moteur franco-allemand comme étant "bon pour l'Europe" et assure que Londres souhaite participer aux initiatives communes.

La poignée de main est ferme, le regard incisif. Plus grand qu'il ne paraît parfois à la télévision, David Miliband.20corrige en tête à tête l'image de l'élève modèle un peu snob qui lui a été collée par les médias britanniques quand il était conseiller de Tony Blair. Doué intellectuellement (il a fait des études à Oxford et au MIT), il semble aussi disposer d'une certaine finesse politique. Sa carrière est d'ailleurs fulgurante. En six ans, il est passé de simple député ("backbencher") à ministre des Affaires étrangères. Elu à la Chambre des Communes en 2001, après avoir dirigé le centre de stratégie politique du Premier ministre Tony Blair, il est devenu ministre des Communautés locales en 2005 et ministre de l'Environnement et de l'Agriculture en 2006. En juin 2007, Gordon Brown, succédant à Tony Blair, lui a offert le Foreign Office, aussi - dit-on - pour assagir ce "blairiste" de la première heure qui aurait pu le défier dans la course à la succession. Adepte des nouveaux moyens des communications, il a créé son blog sur le site du Foreign Office.

La Tribune. Quelle est aujourd'hui la vision britannique de l'Europe?

David Miliband. L'Union européenne est entrée dans une phase nouvelle de son histoire. Au cours du demi siècle passé, les défis venaient de l'intérieur: la création d'un marché unique, voire d'une monnaie commune, la définition de minima sociaux dans tous les pays membres... A présent, les défis viennent plutôt de l'extérieur de l'UE ou sont de nature globale: la menace terroriste, le changement climatique, l'immigration, le commerce mondial qui réduit la souveraineté des Etats... Il faut donc ouvrir davantage l'UE vers l'extérieur, lui permettre d'affronter ces défis. L'Europe prospère quand elle est ouverte. La globalisation procure des douleurs à court terme, mais donne des fruits progressivement.

Sur quelles questions globales souhaitez-vous voire l'Europe progresser?

Dans la lutte contre le changement climatique, il est nécessaire de consolider les avancées réalisées il y a douze mois, sous la présidence allemande, quand il a été décidé de réduire de 20% à l'horizon 2020 les émissions de gaz à effet de serre au niveau européen. Nous devons rester concentrés sur cet objectif et sur les engagements pour y parvenir. Quant aux nouvelles menaces d'instabilité financière, il faut définir des règles, mais sans empêcher à l'Europe de tirer parti de la globalisation. Je pense ici aux fonds souverains, dont la démarche est critiquée dans certains pays. Je pense que l'Europe ne doit pas ériger de barrières contre ces fonds, mais définir plutôt des règles de conduite. Nous pouvons exiger de ces fonds d'être transparents et d'agir selon des logiques commerciales, et non politiques.

En matière de changement climatique, comment préserver la compétitivité des entreprises européennes, si celles-ci sont obligées de respecter des contraintes strictes en matière d'émission de gaz à effet de serre, alors que les concurrents des pays émergents ont les mains plus libres?

La question n'est pas de savoir "si" les pays émergents évolueront un jour vers une économie sobre en carbone, mais "quand" cela se produira. Dans cette optique, l'Europe a tout à gagner à être en tête du processus plutôt qu'à l'arrière. En deuxième lieu, si l'Europe veut avoir plus de poids et d'influence dans les négociations internationales sur le climat, elle a intérêt à mettre de l'ordre dans sa maison. Il existe par ailleurs des mécanismes de marché, comme le ETS (European Trading Scheme) permettant à des pays tiers de participer aux pratiques en vigueur dans l'UE. Enfin, en Grande Bretagne comme en France, l'industrie de l'environnement est de plus en plus créatrice d'emplois.

Quel est l'état du débat sur l'Europe en Grande-Bretagne? Le gouvernement a obtenu que le traité européen soit ratifié par la voie parlementaire, et non par référendum, comme le réclamait l'opposition conservatrice. Néanmoins, le pays reste eurosceptique, et même le Premier ministre Gordon Brown est moins "europhile" que son prédécesseur Tony Blair.

Cette image de Gordon Brown ne correspond pas à la réalité. Je crois que tous les gouvernements en Europe sont confrontés au problème d'expliquer à leurs opinions publiques le rôle de l'Union européenne dans le monde d'aujourd'hui. Il faut reconstruire, sinon réinventer l'Europe pour le XXIème siècle. Pour asseoir sa légitimité et être respectée par ses citoyens, l'UE doit être efficace dans la solution des problèmes: le changement climatique, la croissance économique, l'approvisionnement énergétique, l'immigration... Nous sommes arrivés à bout du débat sur les institutions, il faut désormais faire travailler l'Europe.

Le président Nicolas Sarkozy a insisté cependant pour installer un comité de sages chargés de réfléchir au futur de l'UE. Etes-vous sûr que les réformes institutionnelles sont terminées?

Dans la mesure où cette initiative s'inscrit dans un horizon temporel d'ici à 2030, elle me trouve parfaitement à l'aise.

La France mettra l'accent sur la défense lors de son semestre de présidence, qui débute en juillet. Y a-t-il un rôle à jouer pour l'Europe de la défense, alors qu'on assiste en Afghanistan à des tensions sur le niveau des engagements de chaque pays? Est-ce que vous souhaitez voir la France et l'Allemagne s'engager davantage en Afghanistan?

La défense européenne est un problème de capacités et de coordination. Sur l'Afghanistan, nous suivons le débat en cours en France sur le niveau d'engagement, nous savons que des décisions sont attendues dans les prochains mois. L'Allemagne part de son côté d'un héritage historique spécifique en termes d'envoi de troupes à l'étranger. En Afghanistan, nous sommes en réalité confrontés à trois types de défis. Le premier et le plus important est de construire une armée nationale afghane dans le cadre de la reconstruction de cette nation; le deuxième est de partager l'effort militaire et faire en sorte que chaque pays contribue de façon appropriée; le troisième est de cordonner les efforts au sein de l'OTAN, ainsi qu'entre les structures militaires, civiles et judiciaires.

Etes-vous en faveur, au niveau européen, d'une plus grande coopération en termes de recherche et de programmation militaire entre les pays?

Quand la coopération a du sens, il faut y aller. Mais je ne crois pas nécessaire de créer de nouvelles institutions dans la défense. Il faut coopérer dans les dossiers concrets. Je pense à cet égard que le prochain sommet franco britannique (du 26 au 27 mars, NDLR) sera utile.

Comment voyez-vous l'affaiblissement du moteur franco-allemand en Europe? L'idée d'un triangle entre Berlin, Londres et Paris vous séduit-elle?

Il est dans l'intérêt de la Grande-Bretagne d'avoir un certain nombre d'alliances. Mais il est aussi important que les grands pays européens ne soient pas perçus comme imposant leur volonté aux autres. Nos relations avec Paris et Berlin sont de grande importance. Sur l'Iran, les trois pays coopèrent étroitement. Mais sur d'autres dossiers, comme le Kosovo, l'Italie a joué un rôle important, sans oublier les Etats-Unis. Ce qui est important pour Londres, c'est de pouvoir travailler de façon bilatérale et multilatérale avec nos alliés européens.

Mais l'affaiblissement du moteur franco allemand n'offre-t-il pas une chance à la Grande-Bretagne d'influencer davantage le débat en Europe?

Je conteste le présupposé de cette question. On dit aussi parfois que si la France et l'Allemagne ont de mauvaises relations avec Washington, c'est bon pour la Grande-Bretagne. Je ne suis pas d'accord. En général, on ne prospère pas sur le malheur des autres. Le rapport entre Paris et Berlin me parait toujours fort et productif, et ceci est bon pour l'Europe. La Grande-Bretagne veut participer à cette dynamique.

La relation étroite entre Londres et Washington est-elle toujours importante, alors que les menaces de récession aux Etats-Unis et l'émergence de nouvelles puissances en Orient rendent le monde un peu plus multipolaire?

En termes de PIB par habitant, les Etats-Unis restent une super puissance globale et le seront encore pour le futur prévisible. Il est vrai cependant que le pouvoir est en train de se déplacer de l'ouest vers l'est de la planète, du niveau national vers l'international, et de la sphère étatique vers la sphère individuelle. Tout cela signifie qu'il est nécessaire de construire et de renforcer les institutions internationales, de l'ONU aux organisations régionales. Il faut d'autre part faciliter la convergence entre les politiques des gouvernements, les forces du marché et les initiatives des individus. Une nation n'est prospère que si ces trois composantes fonctionnent efficacement. Il nous faut gagner dans ce domaine la bataille des idées.

Londres va-t-elle promouvoir la candidature de Tony Blair à la présidence de l'UE?

Il faut d'abord définir le rôle du président de l'UE. Il est prématuré à ce stade de parler de candidatures.

Que pensez-vous du projet d'Union méditerranéenne proposé par Nicolas Sarkozy?

Je suis favorable au développement de relations efficaces avec les régions voisines de l'UE. La question est de savoir dans quels domaines concrets on veut travailler avec les pays de la rive sud de la Méditerranée et comment l'initiative française s'accorde avec l'Euromed. Je pense à cet égard que les récentes discussions entre Nicolas Sarkozy et Angela Mekel auront contribué à clarifier le débat. La Grande-Bretagne est contente de l'Euromed, nous sommes prêts à contribuer au renforcement de ses structures.

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