Eloge de la fuite

Sur le thème de l'inconstance amoureuse, "Le Menteur", comédie de Pierre Corneille, défend le mensonge comme manifeste de la liberté.

Dorante, jeune étudiant en droit fraîchement débarqué de Poitiers, investit les Tuileries "le pays du beau monde et de la galanterie". Il comprend vite qu'en ces hauts lieux des intrigues amoureuses à la parisienne, il importe de se faire un "visage à la mode" car l'être et le paraître se confondent. S'inventer un personnage, se travestir en un mot, mentir comme si sa vie en dépendait devient un moyen d'émancipation sociale, familiale et amoureuse. C'est aussi une forme de rébellion à un avenir tout tracé d'avance, des études de droit à Poitiers, un mariage arrangé avec une jeune fille de bonne famille...

Il faut donc fuir, mais pour combien de temps? Geneviève Rosset signe ici une mise en scène épurée et résolument moderne où le mot est à la fois maître et traître. De simples pans de ciel bleu délimitent l'espace et rappelle au mythomane que le temps lui est compté.

Nicolas Rappo (dans le rôle de Dorante) se glisse avec souplesse dans des jeux de rôles toujours renouvelés, masques, voix, mimes, et devient spectateur de lui-même. C'est dans le mensonge que Dorante trouve une sorte d'équilibre fragile. C'est dans ces eaux troubles qu'il parvient à trouver une forme de liberté. C'est dans ses dissimulations et artifices qu'il donne le meilleur de lui-même, ce qu'il reconnaît comme un don: "Le ciel fait cette grâce à fort peu de personnes, il y faut promptitude, esprit, mémoire, soins / Ne se brouiller jamais, et rougir encor moins". Alors il utilise toutes les facéties de son répertoire, sans jamais laisser de distance à son interlocuteur, superlatifs, hyperboles, affabulations, récits extraordinaires...

Mais bientôt le système s'enraye et le bonimenteur confus s'enferme rapidement dans ses propres contes. Cliton le valet, cornélien par excellence, le seul à être comme nous spectateurs, donc dans la confidence, a beau tenter de le ramener sur le droit chemin, les mensonges ne suffisent plus à colmater les brèches et tout est découvert.

Avec "Le Menteur", pièce vivante et légère, on ne se prend pas simplement de sympathie pour la jeunesse pleine de fougue de Dorante, mais aussi pour un homme qui veut embellir sa vie et refuse de se laisser enterrer par les convenances. Le protagoniste happe le spectateur suspendu à ses lèvres jusqu'au dénouement. Mais la morale n'est pas celle que l'on attend.

"Le Menteur" jusqu'au 25 janvier au Théâtre de Chatillon (92320). Tél: 01 55 48 06 90. Les 5 et 6 février au théâtre de Sémur-en-Auxois en Côte-d'Or.

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