Hausse ou baisse des taux : le dilemme de la BCE

La BCE, qui se réunit jeudi, se trouve face à un dilemme: appliquer son mandat à la lettre et être accusée de briser la croissance - ou suivre les baisses des taux de la Fed et être suspectée d'alimenter les bulles spéculatives. Dans des marchés particulièrement heurtés, la décision sera majeure pour tous les boursiers. L'analyse de deux professeurs de finance: Didier Coutton, Bordeaux Ecole de Management, et Pierre Gruson, Université de Rouen, Bordeaux Ecole de Management.

Jean-Claude Trichet, élu homme de l'année par le Financial Times, semble avoir bénéficié d'un délai de grâce, qui pourrait bien faire défaut à son homologue Ben Bernanke. Aujourd'hui dans la tourmente financière, leurs décisions ne sont pas neutres.

Objectif: stabilité des prix pour la BCE

La BCE a reçu pour unique mandat de contrôler la stabilité des prix, là où son homologue américain doit aussi veiller au respect des grands équilibres, tout en contribuant à l'emploi et la croissance. Cette différence est sans doute le fruit de l'ancienneté respective de leurs statuts. Pour autant, Jean-Claude Trichet a indiqué à plusieurs reprises, que la BCE est indépendante, mais n'est pas sourde!

Les propos relevés dans le bulletin mensuel de janvier 2008, le confirment: "Conformément au mandat qui lui a été confié, un tel ancrage (des prix) constitue une priorité absolue pour le Conseil des gouverneurs." Mais, pour servir une croissance de 2,5% de l'économie avec un taux d'inflation contenu à 2%, la masse monétaire mesurée par l'agrégat M3 ne devrait pas dépasser 4,5%. Or, au bout de huit ans, force est de constater que cet objectif n'a été respecté que de manière anecdotique. Les banques centrales s'accordent à reconnaître que cet indicateur monétaire n'est pas indispensable pour piloter l'économie. La BCE y a renoncé depuis deux ans, tandis que la Fed a indiqué fin 2006 ne plus souhaiter publier de statistiques monétaires, au contenu informatif contestable.

Paradoxalement, leurs déclarations mensuelles détaillent à l'envie les contributions de chaque catégorie d'actifs à l'accroissement de la masse monétaire M3. C'est ainsi que sa croissance reste élevée (11% en rythme annuel) et se trouve propulsée vers des sommets par les composantes M1 et M2 (dépôts et actifs monétaires à moins de 2 ans). L'explication tient notamment à la progression des crédits aux particuliers (+6% en moyenne et +7,6% pour les crédits à l'habitat).

Hausse des taux: une décision de raison

Au vu de ce qui précède, il semble fatal d'anticiper une hausse des taux d'intérêt par paliers successifs dans le courant de l'année. En effet, la hausse des prix atteint 2,7% sur un an et 3,2% en instantané. Tout le monde reconnaît que l'inflation est dans les prix, alors que l'indice des prix à la consommation ne rend pas correctement compte de l'indice du pouvoir d'achat des ménages.

L'augmentation des taux d'intérêt contribuerait à maintenir un taux de change avantageux pour l'Euro pour contenir la hausse du prix des matières premières importées. Elle susciterait un afflux de capitaux étrangers: un bel atout dans une situation où les liquidités font défaut.

A l'inverse, cette hausse pourrait ralentir la croissance économique et aboutir à une récession, dont on ne perçoit, pour l'heure, aucun signe. Mais, il n'est pas prouvé que le taux d'intérêt ait un impact aussi rapide et mécanique sur l'investissement et la consommation!

La BCE se trouve donc face à un dilemme: respecter son mandat au pied de la lettre et être accusée de briser la croissance ou alors suivre les initiatives de baisse des taux de la FED et être suspectée d'alimenter les bulles spéculatives. Dans les deux cas la position du gouverneur de la BCE est délicate.

Statu quo ou baisse: une décision de saison

Les décisions futures de la BCE se feront probablement en regard du contexte international. En effet, à quoi servirait-il de rehausser les taux alors que la Fed a baissé son principal taux de 125 points de base en deux semaines et que les opérateurs anticipent des Fed Funds à 2,5% en mars prochain? Vu sous cet angle, l'Europe ne gagnera pas grand-chose à rehausser ses taux.

L'ensemble des analystes ne s'y est pas trompé et anticipe assez largement un statu quo pour les deux prochains mois en attendant une baisse graduée et rythmée jusqu'à 3% pour la fin de l'année. La BCE va donc devoir arbitrer entre raison et saison.

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.