Martin Winterkorn (Volkswagen) : "Seule l'Allemagne joue la carte de l'environnement"

Un entretien avec Martin Winterkorn, président du directoire du groupe Volkswagen. Alors qu'il ambitionne de détrôner le numéro un mondial, Toyota, au plus tard dans dix ans, le constructeur allemand fait face à un contexte politique en Europe qu'il juge préjudiciable. Le président de son directoire s'estime cependant bien armé pour gagner son pari. Il compte notamment sur le savoir-faire commercial de Porsche qui sera bientôt son actionnaire majoritaire. Le groupe étudie par ailleurs la cession de sa filiale de camions brésilienne à MAN.

La Tribune - Le baril de pétrole atteint de nouveaux sommets. Pensez-vous que le développement de moteurs toujours plus puissants soit conciliable avec les enjeux auxquels le monde est confronté sur l'environnement ?

Martin Winterkorn - Chez nous, la tendance va très clairement vers des ensembles moteur/boîte de vitesses plus petits même si la demande pour des moteurs 6 cylindres ou plus ne se ralentit pas. En développant nos modèles, nous misons sur des moteurs plus réduits, mais puissants.

Regardez ce qui s'est passé au cours des dernières années : nous sommes leader mondial des véhicules diesel avec les moteurs TDI. Nous avons établi sur le marché l'injection directe et encore optimisé la consommation des véhicules essence grâce aux technologies TSI et TFSI à double suralimentation. Nos modèles Blue Motion, que nous avons introduits sur toute la gamme Volkswagen, proposent une optimisation supplémentaire de la consommation à des prix abordables. Nous offrons des techniques similaires dans toutes nos autres marques. La famille des véhicules de petite taille, dont nous avons présenté trois variantes avec la Up, arrivera sur le marché en 2010 - et son chiffre de consommation commence par un 3 avant la virgule...

La France a introduit un système de bonus-malus. En avez-vous souffert ?

Cela nous pose bien sûr un problème, même si nous avons suffisamment de modèles qui consomment peu. Mais la situation en Europe n'est pas claire puisque chaque pays a introduit sa propre législation sans concertation, pour protéger son industrie nationale. Seule l'Allemagne s'est une fois de plus comportée en bonne Européenne, et joue la carte de l'environnement au lieu de faire de la politique industrielle. La France et l'Italie sont elles bien conscientes des défis posés à leur industrie automobile et des conséquences en termes d'emplois. En Allemagne, certains de nos hommes politiques réagissent malheureusement de manière populiste et pensent que les grosses cylindrées sont dépassées. Beaucoup de gens souhaitent toujours posséder une grosse berline, pour des raisons pratiques ou de statut mais dans certains pays ils sont sanctionnés par des taxes ou autres réglementations. L'industrie automobile est une branche innovante et un moteur de croissance et on lui met, du moins en Europe, des bâtons dans les roues. Pour comprendre à quelle vitesse l'industrie automobile peut être mise en danger et où cela peut mener, regardez par exemple l'exemple américain.

Voilà plus d'un an que Français et Allemands tentent en vain de trouver un accord sur la réduction des émissions de CO2. Pensez vous que vous allez réussir à trouver un terrain de compromis?

Il faudra bien. Dans les grandes lignes, on est presque d'accord. C'est évidemment toujours dans le détail que cela coince. Mais il est clair que nous ne pouvons pas accepter le modèle proposé par les Français aujourd'hui. Il avantage les fabricants de petits véhicules et pénalise de manière drastique les fabricants de modèles plus gros. Tous les constructeurs doivent-ils se satisfaire de l'état actuel des véhicules compacts et ne plus travailler à l'optimisation de leur consommation dans les années à venir ? Nous voulons que tout le monde - y compris nous-mêmes - continue de travailler intensivement à la réduction du CO2 sur les petits véhicules, qui constituent le gros du trafic en Europe, et pas seulement les constructeurs qui proposent de grosses motorisations.

Vous venez de présenter personnellement la nouvelle Ibiza. Avez-vous définitivement Seat sous contrôle ?

Quelle que soit la marque, pour réussir, elle doit avoir suffisamment de produits différents. A la fin des années 90, Seat était en bonne forme. Il avait été possible de mettre sur le marché une large gamme de modèles qui se basaient sur des pièces communes avec d'autres marques du groupe. Ensuite, elle a tenté de développer beaucoup de choses par elle-même au prix d'investissements élevés. Aujourd'hui, nous nous concentrons de nouveau sur la stratégie des années 90. Nous lançons la nouvelle Ibiza avec des investissements réduits, tout en offrant de nombreuses variantes. Le modèle Altea offrira une version avec transmission intégrale. Si nous voulons que Seat redevienne leader sur son marché domestique nous devons couvrir les mêmes segments de marché que les concurrents. C'est pourquoi nous sortirons de nouveau une berline dans le segment B, d'une taille comparable à la Passat. Seat doit copier la stratégie gagnante de Skoda.

A quel horizon aurez-vous stabilisé Seat ?

D'ici à la fin 2009, la marque sera bien positionnée et fera de nouveaux bénéfices.

Le bras de fer engagé par le président du comité d'entreprise de Volkswagen pour contester la répartition des sièges au conseil de surveillance de Porsche SE n'est toujours pas réglé. Cela ne vous dérange pas ?

Tant que cela ne nuit pas au groupe Volkswagen, c'est certes inutile, mais c'est supportable. Au sein du directoire, nous avons de toutes autres préoccupations : la stratégie du groupe, la méthode pour le préparer à la prochaine décennie. Comment allons-nous consolider notre engagement aux Etats-Unis, en Inde, en Russie, comment allons-nous rester leader du marché en Chine ? Voilà les questions dont nous nous occupons. Si cette controverse entraînait des répercussions notables sur le groupe, j'interviendrai.

Mais vous êtes agacé qu'on ne parle à peine de vos excellents résultats alors que la bagarre fait les gros titres ?

Evidemment cela ne me plait pas que nos succès soient noyés dans cette discussion. Mais je suis persuadé que l'on va trouver une solution. Nous sommes en train d'écrire un nouveau chapitre de l'histoire de l'automobile et c'est sans doute le plus important. Avec Porsche, Volkswagen peut sûrement passer à une nouvelle vitesse, faire avancer encore davantage notre industrie.

D'ici à septembre, Porsche justement aura repris la majorité du capital de Volkswagen. Quelle va être votre position au sein de la holding Porsche SE ?

Il y a des règles du jeu qui sont claires. Le groupe Volkswagen a un directoire qui dirige les affaires stratégiques, et un conseil de surveillance de vingt membres qui surveille le directoire. Ce sont ces deux organes qui prennent les décisions importantes pour le groupe. Ensemble. Evidemment il y a des représentants de Porsche au sein du conseil et il y en aura peut être plus encore par la suite, mais cela ne change rien aux règles.

Et ensuite, on décide des plates-formes à Stuttgart ?

Encore une fois, Volkswagen est une entité juridique responsable, la stratégie, et donc la planification des nouveaux modèles, sont décidées chez Volkswagen. Mais on a aussi beaucoup à apprendre de Porsche.

Vous allez présenter au Salon de l'automobile de Paris la sixième génération de la Golf, quatre ans après avoir mis sur le marché la Golf V. Pourquoi un changement aussi rapide ?

La nouvelle Golf était prévue depuis longtemps pour cette date, nous avons étalé le plus possible le cycle des modèles, trop rapproché pour les modèles à fort volume de Volkswagen

Comment décririez-vous cette nouvelle génération de votre modèle phare?

Volkswagen revient à ce qui a fait son succès, à ce que les puristes de la marque attendent de nous : technique précise, design parfait, sans fioritures, grande qualité de finition et fiabilité.

Présenterez vous à nouveau une version cabriolet ?

Oui j'aimerais avoir de nouveau une Golf cabriolet. La Eos se vend très bien, mais c'est plutôt une Passat cabriolet qu'une Golf cabriolet.

Quand arrivera-t-elle sur le marché ?

Rapidement. Mais plus tard.

En 2010 ?

Peut-être.

Vous êtes sponsor officiel des Jeux olympiques de Pékin. Le débat actuel sur la Chine et le respect des droits de l'homme ne vous pose t-il pas problème ?

Cette sensibilité est très allemande. Dans le reste du monde, la perception est différente. Ceci dit, nous restons sponsor des Jeux Olympiques, car nous soutenons ainsi le mouvement olympique. En outre, la Chine est un marché clé pour nous. Nous y avons 35.000 salariés, des collaborateurs incroyablement motivés qui font un travail excellent et pour qui les Jeux olympiques de Pékin seront un grand moment. Nous n'avons pas de raison de leur gâcher cet événement. Et nous avons bien l'intention de grossir encore en Chine. Cette année, avec plus d'un million de véhicules vendus, ce sera notre premier marché au monde devant l'Allemagne.

Votre président du conseil de surveillance, Ferdinand Piëch, a indiqué récemment dans un entretien qu'il ne manquait plus au groupe désormais qu'une marque de motos. S'agit-il d'un secteur dans lequel on va bientôt voir débarquer le groupe Porsche-Volkswagen ?

C'est exact, nous avons déjà regardé du côté de Ducati il y a une dizaine d'années. À l'heure actuelle c'est exclu. Même si c'est une perspective qui m'enthousiasmerait personnellement.

Vous êtes passionné de football. Audi est l'un des sponsors du Bayern de Munich, un investissement qui coûte cher. Cela vous rapporte t-il autre chose que la gloire ?

Soyez rassuré, notre engagement n'est pas seulement honorifique. Si cela ne nous rapportait rien, nous arrêterions. Le monde du football et celui de l'automobile vont bien ensemble. Il suffit de regarder comment se porte le fan-shop d'Audi au stade du Bayern, l'Allianz Arena. Néanmoins, avant de devenir sponsor d'un club, nous étudions quelles sont les parts de marché des différentes marques automobiles chez les supporters et combien de véhicules ont été achetés directement par le club. C'est un facteur à ne pas négliger. Audi est également sponsor de l'AC Milan, du Real Madrid , de Manchester United, du FC Barcelona et de l'Ajax Amsterdam.

Mais vous n'avez toujours pas de club en France ?

Non.

Lyon pourrait il vous intéresser ?

A voir. Pour qu'un tel projet devienne intéressant, il faut que vous ayez une personne chez notre importateur français qui s'intéresse à ce type de sponsoring et qui s'engage. Ce n'est pas toujours évident à trouver.

Frank Ribéry est une star au Bayern de Munich. Pourquoi n'utilisez vous pas son image dans votre communication en France ?

Ne vous inquiétez pas. Nous y avons déjà pensé...

Vous visez une fusion dans les camions. Mais vous venez de prolonger le contrat du président de Scania pourtant très réticent à un mariage. Comment doit on interpréter votre décision ?

Nos marques sont dirigées de manière très indépendante. Regardez Audi, Lamborghini, Bentley, Skoda ou autres, elles ont toutes leur propre directoire, leur propre développement, leur propre design, un réseau de distribution spécifique. Mais on utilise des modules communs. On n'a pas besoin de fusion pour profiter des synergies. On ne fera pas des trois groupes une société. Notre stratégie consiste à jouer la carte des marques, tout en économisant dans la technique et les achats. Il serait déraisonnable de ne pas garder à bord Leif Östling qui a fait de Scania la marque la plus rentable du secteur.

Lors de l'assemblée générale des actionnaires de MAN, Ferdinand Piëch, président du conseil de surveillance, a insisté sur les synergies possibles entre la filiale brésilienne de camions de Volkswagen et MAN, notamment dans les moteurs et les composants. Les moteurs de MAN vont donc bientôt remplacer ceux de Freightliner dans les camions Volkswagen ?

Cela prendra du temps car comme pour les voitures, les changements se font avec les nouvelles générations de produits. Quand nous avons repris Skoda, les moteurs du groupe Volkswagen ont été progressivement intégrés aux nouveaux modèles. Ce sera également le cas sur les poids lourds.

Depuis longtemps, vous cherchez une solution pour votre filiale brésilienne. Vous venez de passer une semaine sur place. Peut-on s'imaginer que MAN, qui n'est pas encore présent en Amérique du Sud, reprenne finalement la division poids lourds de Volkswagen ?

C'est évidemment une variante possible.

Une alternative logique puisque Ferdinand Piëch a défini Scania comme la Rolls du camion, MAN comme du bon milieu de gamme et Volkswagen comme de l'entrée de gamme tout en se prononçant clairement contre un démantèlement de MAN. Cela pourrait donc arriver bientôt ?

Je ne vous dirai pas quels délais nous nous sommes fixés, mais il n'y a pas urgence.

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