Fin de partie cannoise

A l'approche de la dernière ligne droite, le Festival de Cannes, qui se conclut dimanche 25 mai, a opposé deux films très dissemblables, ce jeudi. "La frontière de l'aube", de Philippe Garrel, conte sentimental radical en noir et blanc. Et "Adoration", passionnante enquête-fiction du Canadien Atom Egoyan sur la construction de l'identité à l'époque des "chats" sur le Net.

Il y a des enchaînements que le festival de Cannes devrait éviter. A moins qu'il ne les provoque afin de montrer le choc des cinématographies, d'exhiber toute la diversité de la sélection en compétition et de réveiller l'attention des journalistes harassés, bien avant terme, par une avalanche de films qui ne brillent pas par leur légèreté. Après l'épopée du "Che", qui les a tenus en haleine toute la soirée du mercredi, ils étaient confrontés le lendemain matin aux aurores à deux films très opposés.

Dès le générique, d'une sobriété monacale, on a été saisi par le radicalisme de "La frontière de l'aube", film en noir et blanc, du Français Philippe Garrel. On l'a été encore plus par son sujet: une histoire archi-rabâchée d'amour malheureux, d'autant plus surprenante qu'elle est signée Philippe Garrel, icône du cinéma underground dans les années 70. Le film démarre sur la rencontre coup de foudre d'une star (Laura Smet) et d'un photographe (Louis Garrel, fils du cinéaste). Elle vit seule dans son appartement, délaissée par son mari qui passe le plus clair de son temps à Hollywood. Devenus amants, ils vont s'installer à l'hôtel pendant deux semaines, le temps qu'il termine son reportage photo.

Mais dès qu'elle devient régulière, la liaison ne tarde pas à s'envenimer. Elle est instable, narcissique, suicidaire, lui précautionneux (on le comprend). Dès lors, le film prend une tournure fantastique avec apparitions de spectre dans un miroir, un peu comme le faisait Cocteau dans les années quarante avec "Orphée". Le problème, c'est qu'aujourd'hui ce genre de sentimentalisme minimaliste frise le ridicule.

Beaucoup plus intéressant, le film suivant, "Adoration", d'Atom Egoyan dépasse largement la platitude de son titre. Le cinéaste canadien donne ici une résonnance contemporaine à ses thèmes favoris: les différences entre l'apparence et la réalité, la nature subjective de la vérité, la quête de l'identité dans la fragmentation des représentations. L'idée est partie d'un fait divers réel survenu en 1986: un terroriste arabe avait envoyé sa petite amie, irlandaise enceinte, en voyage sur un vol de la compagnie israélienne El Al avec une bombe dans son bagage à main. Ce qu'elle ignorait jusqu'à ce que les services secrets lui en révèlent l'existence.

Lorsqu'il entend raconter cette histoire, par sa professeure, Simon, grand adolescent lunaire, s'en empare et prétend être l'enfant né après cet attentat avorté. Avec un pareil sujet, on imagine le succès qu'il obtient lorsqu'il ouvre un "chat" sur le Net et dialogue avec des centaines de personnes représentant les points de vue les plus divers.

Mais à mesure que le film avance, le véritable puzzle de la personnalité de l'adolescent se reconstitue pièce par pièce, faisant apparaître des personnages qui ont joué un rôle clé dans sa formation. Comme son grand-père, qui l'a élevé après la disparition de ses parents, homme rigide et intolérant, qui a façonné la vision que le garçon a gardée de son père musulman. La professeure, aussi, qui joue un rôle de catalyseur. Un film fascinant.

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