Pour le PDG de Michael Page, "il existe aujourd'hui une pénurie de cadres de haut niveau dans le monde"

Le patron du grand spécialiste international du recrutement explique qu'il résiste au ralentissement économique et à la crise des subprime. Il dévoile les profils les plus recherchés et les différences des marchés de l'emploi d'un pays à l'autre.

Latribune.fr - Les chiffres de l'emploi aux Etats-Unis, dévoilés vendredi, ont été mauvais avec un taux de chômage au plus haut depuis presque cinq ans. Quel est l'impact sur votre activité ?

Steve Ingham - Nous sommes assez peu touchés pas cette tendance. Nous intervenons en effet sur le marché des cadres. Et celui-ci se porte très bien. Il est même très tendu. Nous pouvons parler d'une vraie pénurie de cadres de haut niveau dans le monde aujourd'hui.

Pourtant, les universités en Chine et en Inde sortent désormais chaque année des centaines de haut diplômés.

Certes mais seulement une petite partie d'entre eux sont d'un niveau optimum, apte à répondre aux demandes des grandes entreprises qui sont nos clients. C'est comme en France, le meilleur MBA est sans conteste celui de l'Insead. Partout dans le monde, il y a ainsi des centres d'excellence en terme de formation de cadres de haut niveau, et d'autres un peu moins bons.

Avec la crise des subprime, on a vu circuler des chiffres de licenciements très importants dans les banques et les établissements financiers. C'est un domaine dans lequel Michael Page est très actif. Là encore, comment êtes vous impactés par ce phénomène ?

Sans vouloir paraître trop optimiste, l'impact de cette crise est assez faible chez nous même si le secteur financier représente 10% de nos activités. Nous le constatons un peu sur le front-office mais pas du tout sur le back-office, toute la gestion administrative et celle des risques, qui est plus utile que jamais. Et je souligne que la demande de spécialistes de la conformité est très forte. Par ailleurs, la demande des petites boutiques internationales, des hedge funds et des fonds d'investissement augmente. Avec des demandes de responsables très haut de gamme, avec des salaires d'un million de dollars par an.

Parmi les profils qui sont les plus demandés aujourd'hui, je citerai celui des responsables dans les secteurs miniers et pétroliers, en plein boom avec l'envol des prix et de la demande. Mais aussi celui des métiers du droit et de la comptabilité. Avec une spécificité pour ce qui est du droit puisqu'il est difficilement transposable d'un pays à l'autre ce qui implique d'avoir été formé au droit du pays concerné par l'offre d'emploi. Quant à la comptabilité, je ne vous donnerais qu'un exemple : une grande société anglo-saxonne nous a récemment demandé de trouver quinze comptables. Nous leur avons dit : c'est presque mission impossible, sept ou huit peut-être, mais quinze ! C'est un profil extrêmement rare aujourd'hui. Alors, il nous faut être malin. Nous avons cherché des candidats au Royaume-Uni mais aussi en Afrique du Sud et finalement beaucoup sont venus d'Afrique du Sud.

Quelle est la clé aujourd'hui du marché de ces cadres de haut niveau ?

La mobilité. Je ne sais pas si c'est lié à l'essor d'Internet et des télécommunications mais c'est devenu le facteur déterminant pour les postes et les candidats. Et nous constatons que ce n'est pas un obstacle. Les personnes sont très souvent prêtes à bouger, parfois très loin, surtout sur les postes à plus haute responsabilité.

Même les Français, dont on a coutume de dire qu'ils sont peu mobiles ?

Au contraire, nous faisons l'expérience inverse chez Michael Page. Déjà en interne. Notre groupe s'est développé à partir de deux marchés, le Royaume-Uni et la France. Et entre les deux, c'est la France qui nous a fourni le plus fort contingent de responsables à l'étranger. Chez nos candidats, le fait d'être Français ne constitue en rien un obstacle aux mouvements à l'international. Même la barrière de la langue tend à s'atténuer. Désormais, les formations en France fournissent un bon niveau d'anglais.

Quelle est votre vision du marché du recrutement en Europe ?

Il est en plein explosion en Allemagne. Le changement des lois nous a bien aidé. Il y a 10 ans, par exemple, elles bridaient sérieusement l'industrie du recrutement. De plus en plus de cadres, notamment les jeunes, ne toléraient plus que leur mobilité soit limitée. Ils savent bien que désormais ils ne passeront plus toute leur vie dans la même entreprise. Et ils ont besoin de nous pour fluidifier leur recherche d'emploi. Désormais, les lois ont changé en Allemagne et notre business est en forte croissance.

Comment définiriez vous le business model de Michael Page ?

D'abord, nous sommes une société internationale. C'est notre grande force. Sur ce marché aujourd'hui, si vous ne l'êtes pas, vous ne pouvez pas trouver un peu partout dans le monde des bons candidats. A notre grande surprise, il nous est arrivé de nous installer dans de très grands pays comme le Brésil ou le Mexique et de découvrir que nous n'y avions pas de concurrents. Le marché chinois est à l'inverse assez compliqué. Nos client nous demandent des candidats chinois bilingues et, plus, biculturels. Comment faire alors que la langue, les impôts et même les lois sociales ne sont pas les mêmes à Hong Kong et à Shenzhen qui sont pourtant toutes proches ? Le marché du recrutement chinois reste local. Nous devons nous adapter à cette donne. Cela montre qu'il existe encore dans notre business de grandes disparités d'un pays à l'autre. En France, seulement 15% à 20% du marché se fait via les sociétés de recrutement. En Grande-Bretagne, c'est 80%. Mais le marché est par exemple en plein explosion en Allemagne. Le changement des lois nous a bien aidé. Il y a 10 ans, par exemple, elles bridaient sérieusement l'industrie du recrutement. De plus en plus de cadres, notamment les jeunes, ne toléraient plus que leur mobilité soit limitée. Ils savent bien que désormais ils ne passeront plus toute leur vie dans la même entreprise. Et ils ont besoin de nous pour fluidifier leur recherche d'emploi. Désormais, les lois ont changé en Allemagne et notre business est en forte croissance.

A mes yeux en tout cas, il n'y a plus de place que pour des grands acteurs comme nous ou des petites sociétés ultra-spécialisées sur le top management. Mais elles opèrent sans se poser de question sur la loyauté et la fidélité des dirigeants. Nous, nous ne faisons pas de chasse de tête. Nous ne travaillons que sur la base des CV de candidats que nous recevons. Et nous expliquons aux rares entreprises qui se plaignent de voir un de leurs salariés les quitter pour accepter une offre qu'ils ont trouvé via Michael Page que le problème ne vient pas de nous mais d'eux. Elles doivent répondre à cette question simple : pourquoi leur salarié veut les quitter.

Une polémique fait rage en France sur la manière de prouver la diversité dans le recrutement par des testings d'envoi de CV. Quel est votre sentiment sur cette question ?

J'insiste sur le fait que le testing doit être très, très précis. Les CV permettant la comparaison doivent être envoyé le même jour avec un seul élément différent : le nom ou l'âge. Je suis sensibilisé à cette affaire depuis que nous sommes accusés, au Royaume Uni, par un candidat qui nous a envoyé deux CV avec des noms à consonances différentes et de petites différences géographiques à plusieurs semaines de distance. L'un a été retenu, l'autre a été refusé. Simplement, parce que au cours du délai, notre activité a évolué.

Plus globalement, quelle est votre position dans le débat sur la diversité ?

J'y suis évidement favorable. Et je pense que la guerre des talents est une chance pour toutes les minorités. Les entreprises sont désormais obligées de se tourner vers elles. Il nous est très facile de proposer des candidats âgés, noirs ou femmes. Mais c'est toujours au client de décider. Et là, il nous faut le convaincre qu'il doit prendre le meilleur quel que soit son âge ou son origine.

Les pays ont voté des lois pour promouvoir la diversité. Qu'en pensez-vous?

Je trouve que les législateurs dans la plupart des pays, sur-réagissent. Ils nous interdisent trop de choses, comme par exemple rechercher un candidat qui sort de la dernière promotion de l'Insead. C'est alors de la discrimination par l'âge. De la même manière, je suis opposé à la discrimination positive. Des entreprises nous demandent de les aider à augmenter la présence dans leurs effectifs des minorités visibles. Je leur répond toujours : pourquoi ne vous attachez-vous pas seulement à recruter les meilleurs sans vous soucier de la race ou de l'âge ? Nous sommes payés pour trouver les compétences adéquates à l'entreprise. Peu nous importe que le candidat soit jeune ou vieux, noir ou blanc, femme ou homme, s'il est compétent.

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