Les recrutés doivent refuser de se laisser juger sur leurs mimiques

Pascal Lardellier, professeur de sciences de l'information et de la communication à l'Université de Bourgogne, met en garde contre ces recruteurs qui scrutent vos gestes pour deviner votre personalité.

La Tribune : Selon vous, de nombreux recruteurs utilisent la communication non verbale pour trouver la perle rare. Concrètement, sur quoi basent-ils leurs observations ?

Pascal Lardellier : En fait, quand on est en face de quelqu'un en situation d'interaction, nous sommes plutôt attentifs à ce qui ce dit. Parallèlement, nous captons des gestes, des mimiques, des mouvements, dont les spécialistes expliquent qu'ils accompagnent la pensée et servent l'expression orale. La gestuelle peut avoir un sens, quand on constate qu'il y a une rupture de la cohérence générale de l'expression. Le cas extrême, c'est la personne qui se dit volontaire et extravertie mais qui, les bras fermés, regarde le bout de ses chaussures. Mais cela reste une caricature ! Pour le reste, il me semble hasardeux et dangereux de se focaliser sur la gestuelle de ses interlocuteurs. Bien malin, et bien prétentieux celui qui prétend savoir ce que signifie la gestuelle de la personne qui lui fait face. Respecter autrui, cela consiste à l'écouter, pas à le scruter pour déceler le sens "secret" de ses gestes. Jusqu'à nouvel ordre, nous sommes des êtres de parole. Alors rendons à celle-ci sa préséance, et ne fétichisons pas outre mesure la gestuelle, dont le sens est aléatoire et contextuel.

La Tribune : Comment réagir, lors d'un entretien, si l'on ne veut pas entrer dans ce jeu ?

Pascal Lardellier : Certaines personnes - managers, recruteurs, coaches... - sont tellement (dé-)formés par les pseudosciences du "décodage non verbal" qu'en effet, ils scrutent votre gestuelle et passent à côté de l'essentiel : ce que vous leur dites ! Je crois aux vertus du regard franc et direct, de l'écoute et, surtout, d'une argumentation construite. Réhabilitons, je le répète, la parole, le dialogue constructif, et cessons cette "guerre froide relationnelle" qui consiste à se méfier d'autrui pour voir en lui un manipulateur, que seule sa gestuelle trahirait infailliblement. Chimère et fantasme pour managers en manque de repères, et en quête de pouvoir !

La Tribune : Que vaudrait un entretien où les deux parties évolueraient sur ce terrain ?

Pascal Lardellier : Une situation bizarre et schizoïde, où l'on assisterait à un dialogue de sourds, avec deux personnes s'espionnant et guettant les gestes de l'autre ! Mais après tout, dans les années 1980, tout le monde, en entreprise, faisait de la PNL (programmation neurolinguistique, une "science" du développement personnel qui propose de parvenir rapidement à des changements personnels dans le sens d'un mieux-être ndlr) et, finalement, se méfiait de la PNL de l'autre...

Pascal Lardellier est l'auteur de Arrêtez de décoder. Pour en finir avec les gourous de la communication (L'Hèbe, 2008).

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