La mémoire retrouvée du soldat israélien

Documentaire d'animation. L'expression - et le concept qu'elle recouvre - est totalement nouvelle, on l'a utilisée pour la première fois au dernier festival de Cannes où "Valse avec Bachir" concourrait pour la palme d'or. Finalement oublié du palmarès, Ari Folman, son réalisateur, aurait pourtant mérité d'y figurer, tant son film-prototype est réussi. Il a laissé, en tout cas, une empreinte indélébile dans la mémoire des festivaliers qui en faisaient un de leurs favoris. A 46 ans, Ari Folman compte comme l'un des auteurs les plus brillants de la nouvelle vague du cinéma israélien, très créative.Dans "Valse avec Bachir", le réalisateur fait converger ses axes de travail antérieurs: les documentaires d'animation dans des séries pour la télévision israélienne et les longs métrages de fiction, celui-ci étant le troisième. La convergence est doublement réussie: aussi bien sur le plan du dessin, d'une beauté et d'une complexités rares (signé David Polonsky), que sur celui de la narration très aboutie, avec des personnages qui acquièrent une densité, une intensité inégalées dans le cinéma d'animation.En réalité, c'est sa propre histoire que raconte Ari Folman, celle d'un metteur en scène en quête de son propre passé. Lorsque débute le film, il avoue en avoir perdu tout souvenir. Il sait juste que jeune recrue de l'armée israélienne de 17 ans, féru de musique et de belles filles, il s'est retrouvé à Beyrouth, complètement déboussolé par la violence de la première guerre du Liban. Mais de cette période éminemment traumatisante, il ne lui reste aucun souvenir précis. Il a même oublié qu'il a été témoin (avec ses camarades) des atrocités commises par les phalangistes chrétiens libanais contre les réfugiés palestiniens du camp de Sabra et Chatila, en septembre 1982.Vingt après, les retrouvailles fortuites avec un ami, qui a vécu la même galère, vont le mettre sur la piste de son propre passé. Ce travail, qui tient de la thérapie psychanalytique, a duré quatre ans, confie Ari Folman, le temps de faire ce film qui en est le fruit.Pour faire remonter à la conscience les pans de son passé décomposé, Ari ne se contente pas de consulter les psychiatres. Il interroge aussi ses anciens camarades d'armes, si bien qu'une bonne partie du film consiste en interviews de ses copains d'alors qui apparaissent sous la forme de figures bien croquées dotées leurs voix réelles. Au fil des souvenirs, le film oscille entre univers mental onirique et brutal retour aux réalités de la guerre. Avec quelques moments d'une grâce inouïe, comme celui où un de ses camarades pète les plombs dans Beyrouth en ruines et danse avec les balles sur une valse de Chopin devant un portrait de Bachir Gemayel (d'où le titre du film), président de la république libanaise allié à Israël pour chasser les palestiniens du Liban.Plus Ari s'enfonce dans sa mémoire, plus les images oubliées refont surface. Avec lui, c'est aussi la mémoire de la nation israélienne et de ses traumatismes collectifs qui ressurgissent des tréfonds du refoulement.
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