Un moment de grâce à l'Institut du Monde Arabe

L'Institut du Monde Arabe (IMA) bénéficie d'un nouveau souffle. Une rencontre avec le poète Yves Bonnefoy en été l'exemple. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

En cette fin d'après-midi de printemps, le soleil s'infiltre dans les interstices du moucharabieh et illumine un côté de la salle du Haut Conseil de L'IMA. De l'autre côté, c'est Paris sous un ciel bleu sans nuages et dans le fond le chevet de Notre-Dame éclairé par la lumière du couchant. Deux hommes conversent sur l'estrade, Jack Lang, maître des lieux et son invité, le poète Yves Bonnefoy.

Une centaine de personnes, de tous âges, respectueuses, attendent la fin de l'échange, un peu inquiètes. Le poète, habillé d'un costume cravate noire, est un peu tassé dans son fauteuil, sa chevelure blanche désordonnée est moins abondante que sur les photos. A 81 ans a-t-il gardé toute sa pugnacité ? N'aurait- il pas mieux fallu rester dans sa chambre à relire-ou lire- la poésie et la prose de l'écrivain ?

La poétique ne s'enseigne pas

L'interrogation ne dure pas. La voix est ferme et les réponses immédiates et précises. Le poète fut quelque peu philosophe, il manie les concepts avec aisance. Le poète fut professeur, il est pédagogue. Il fut invité par plusieurs université aux Etats-Unis alors qu'en France, faute des peaux d'âne exigées, il n'avait pas le droit d'enseigner jusqu'en 1968…A une époque où 68 est jeté aux orties, on a oublié à quel point les mandarins verrouillaient notre université. Depuis, il fut accueilli à Vincennes (une pionnière) Aix, Nice…puis enseigna la poétique au Collège de France (1981/93)

Au présentateur, il oppose que la poétique et encore moins la poésie ne s'enseigne directement. La poésie, c'est une façon de disposer les mots, une conversion du regard …afin de vivre mieux. Par un travail intuitif sur la sonorité et le rythme, les mots retrouvent leur pleine capacité significative, ils se ressourcent pour rencontrer les choses fondamentales. La puissance du monde est réveillée, des moments de grâce et d'harmonie naissent. La pensée conceptuelle, elle, perd le contact avec le vécu temporel, avec l'unité du réel.

L'homme d'un seul livre

En un sens, comme le réel est indécomposable, il n'a écrit qu'un seul livre. Ses œuvres sont « une arborescence à partir d'une unique racine » Il travaille des textes pendant plusieurs années, puis à un moment surgit l'intuition que tous les mots ont trouvé leur place. Alors, l'œuvre est achevée. Enfant, il a aimé Hugo pour son imagination, Racine et Vigny pour leur musique. Puis, adolescent, il a rencontré Rimbaud- qui a réinventé le monde- Verlaine et Baudelaire.

Il ne connaît pas l'arabe mais il apprécie des poètes bilingues et venait d'en rencontre quelques uns à Fez.

 De nombreuses traductions

Une partie importante de son œuvre a consisté en des traductions, une quinzaine d'œuvres de Shakespeare, Yeats, Pétrarque. Et pourtant, il dit que la traduction est impossible, que les sonorités ne sont pas transposables. L'acte de traduire, c'est faire l'expérience de cette impossibilité. Ses traductions sont des œuvres personnelles, à lui. En se battant avec l'auteur, on devient soi-même.

Shakespeare, il l'a aimé dès le lycée, en traduisant Marc-Antoine s'adressant à la foule romaine dans Jules César. Shakespeare, dans son théâtre a fait respirer une poésie enfermée dans les sujets nobles et convenus. Il a injecté de la poésie dans des situations vulgaires et grossières. Personne de nos jours ne sait le faire.

 Les relations entre images et poésie

Le poète s'est intéressé aux relations entre les images et la poésie. Il a écrit sur des œuvres d'art et des artistes, avec qui il avait souvent une complicité amicale et poétique. Pour Alberto Giacometti, il s'est livré à une sorte d'analyse psychologique sur sa recherche répétitive de la vérité de l'être, à partir d'images simplifiées et de représentations de petite taille. Il aurait voulu faire un travail comparable sur Poussin mais cela supposait une connaissance approfondie qu'il n'avait pas.

Ce ne fut pas un grand voyageur. Comme l'art italien, qui balance entre le besoin de représentation et la transgression, l'a beaucoup séduit, il s'est déplacé dans l'Italie du Nord à la recherche des chefs d'œuvre : ainsi dans les Pouilles, il admirait continument les paysages dans la nature et les tableaux de Piero Della Francesca.

 La soirée s'est close par une lecture à haute voix d'extraits de son dernier poème « L'heure présente » Un peu d'amertume (Dieu endormi, indifférent ou impuissant) beaucoup de rêve. Quelle voix ! Un grand moment. Cette lecture est un rappel qu'un poème s'entend avant de se lire.

Yves Bonnefoy est non seulement un poète mais un passeur.

 

 Jack Lang veut donner un coup de fouet à l'IMA

Je ne sais si nous devons cette soirée à « Jack ». Il ne cumule les fonctions de président du Haut Conseil et du conseil d'administration que depuis un an. Mais quelle locomotive ! Celle qui trône glorieusement sur l'esplanade dans le cadre de l'exposition sur l'Orient- Express pourrait- être un symbole. Jack Lang veut donner un « coup de fouet » à l'institution. Il fait connaître et médiatise peut- être plus qu'il crée. Mais les résultats sont visibles: tables rondes hebdomadaires dans la grande salle, avant-premières cinématographiques, expositions pour grand public, spectacles pour les jeunes (« jazz oriental »…) Et la Syrie n'est pas oubliée.

Pour une institution au passé si agité c'est une performance. Faire travailler ensemble vingt-deux pays arabes, divisés sur un grand nombre de sujets est une difficulté permanente. Réunir les fonds nécessaires également. Dès la première présidence d'Edgar Pisani, le visionnaire, l'IMA a connu sa première grande crise financière.

Jack Lang est un organisateur de spectacles talentueux et un négociateur qui sait gérer et s'entourer d'experts. Dans les années 80, le directeur du Budget se plaignait que le Ministre le plus « dangereux » fût le Ministre de la Culture. Non seulement, il était boulimique et insistant mais il connaissait parfaitement ses dossiers et il savait s'entourer. Bref, une exception (lorsqu'il résiste aux tentations des locomotives)

A 75 ans il semble n'avoir rien perdu de ses qualités et de sa capacité à récupérer ce qu'ont fait les autres, dont ses prédécesseurs. Espérons que le goût du médiatique ne le conduira pas à des excès. Il ne faudrait pas multiplier les locomotives, l'opération actuelle qui a impliqué un réaménagement de l'esplanade aurait coûté plus de 500.000 euros. Et les besoins à satisfaire restent considérables. Le bâtiment de Jean Nouvel, qui n'a jamais été complètement achevé est à rénover.

Une autre exception serait qu'il reste longtemps à son poste.

 

La Nuit des Musées... sur des rails                                                            

La Nuit des Musées n'est pas un moment ordinaire, sans être « un moment de grâce. Les deux « expositions événements » -car Jack est un fabricant d'événements- avaient attiré les visiteurs, surtout celle sur le pèlerinage à La Mecque, le Hajj, qui était gratuite. Pour « il était une fois l'Orient Express » il n'était accordé qu'une réduction modeste et le wagon- restaurant ne pouvait se visiter, un dîner étant servi pour la somme de 110 euros. Néanmoins, le curieux, aguiché par le titre et une très belle affiche arts-déco aux couleurs vives et au dessin géométrique, en avait pour son argent. La mise en scène dans les wagons recréait l'ambiance luxueuse et mystérieuse, voire érotique (son côté maison close) et évoquait les célébrités qui le fréquentaient, d'Agatha Christie ou Mata Hari aux rois des Belges et des Bulgares. Les appliques de Lalique et la décoration de René Prou sont parfaitement conservées.

A l'intérieur du musée, plusieurs salles sont consacrées à l'exposition. La première retrace l'histoire, la géographie et la mythologie de l'Orient Express. Une mythologie contemporaine de celle des chemins de fer -illustrée par un beau tableau de Derain- des affiches publicitaires et des débuts du marketing -le voyage de presse offert aux personnalités du moment (des hommes…) en 1885.

La seconde salle présente l'Orient de l'Orient- Express. Géographiquement, c'est d'abord Constantinople puis Le Caire (avec des ruptures qui obligeaient à emprunter des Rolls-Royce) Politiquement, c'était un Orient dominé par l'Europe (où les Arabes étaient un élément de décor) et relativement unifié. A la gare d'Alep (je dis bien Alep) le billet Alep/ Paris par le Simplon-Express et le Taurus- Express s'achetait 230 FF (1930) Alep était un embranchement, pour Le Caire au Sud et Bagdad à l'Est. Culturellement, c'était un Orient de pacotille, celui des odalisques (tableau d'Ingres) des déguisements d'Européens en Turcs et des cartes postales, des mosquées et des palais dans les brouillards d'un soleil écrasant ( tableau de Ziem) Dans la quatrième salle, un public, plutôt jeune, dégustait plats orientaux et gâteaux arabes. L'expo est illustrée tous les dimanche par des spectacles et conférences.

Le concepteur de cette exposition, très grand-public et très professionnelle, est un vieux complice de Jack, Claude Mollard, qui était à son Cabinet en 1981.

 Du plus classique...

Les « événements » de Jack n'ont nullement fait disparaître des manifestations plus classiques. Au cinquième étage se tient une exposition sur André Parrot et le Royaume de Mari. Notre court mandat en Syrie est une des pages peu glorieuses de notre histoire coloniale : désordres politiques, révoltes fréquentes et in fine combat entre troupes pétainistes et troupes gaullistes qui marque une fin précipitée par les Anglais. Une belle page néanmoins, les découvertes archéologiques, dont les résultats pouvaient être admirés dans les musées de Damas et d'Alep, sur la base de règles de partages applicables à l'époque. Soyons cynique : heureusement tout n'est pas resté sur place.

La plus belle découverte, faite par les militaires est celle du Royaume de Mari (- 2950/2330 avant Jésus Christ) sur le Moyen-Euphrate L'œuvre la plus connue est au Louvre l' énigmatique statue en albâtre de l'intendant Ebith- II crâne lisse, yeux incrustés de lapi- lazuli , torse nu et jupon plissé comme en laine de mouton ; il a les mains jointes et semble prier. Cette très belle œuvre a été transférée le temps de l'exposition à l'IMA. L'année 2014 est une date doublement pertinente pour une telle manifestation: un anniversaire puisque le temple fut mis à jour en janvier 1934 et la mise en dépôt par le musée d'Alep de la statuette du Roi, le second chef d'œuvre de l'exposition, elle aussi énigmatique. Les archives d'André Parrot ont été utilisées pour retracer l'histoire des fouilles et de la cité.

Inutile de passer trop de temps au Musée, il vaut mieux se réserver pour le Département des Arts Islamiques du Louvre.

 

Pierre-Yves Cossé

18 Mai

 

 

 

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