Les dangereuses illusions de Nicolas Sarkozy

Par Romaric Godin  |   |  1399  mots
Nicolas Sarkozy plaide pour une "grande zone économique franco-allemande"
L'ancien président de la République défend une "grande zone économique franco-allemande" dans une tribune publiée dans l'hebdomadaire Le Point. Mais ce rêve pourrait bien être une illusion dangereuse.

Une semaine après son successeur à l'Elysée, Nicolas Sarkozy a donc lancé à son tour son plaidoyer pour l'Europe dans Le Point. Comme François Hollande dans Le Monde, l'ancien hôte de l'Elysée n'a pas lui non plus échappé au traditionnel argument massue : « l'Europe, c'est la paix. » Un argument qui semble croître dans la bouche des responsables politique à la mesure de son inefficacité tant les Français et les Européens, bien peu belliqueux envers leurs voisins, ont d'autres attentes de l'Europe : l'économie, notamment.

Sur ce sujet, il est piquant de noter que Nicolas Sarkozy n'évoque qu'en passant, en conclusion, les grands maux de l'économie européenne pour n'en proposer qu'une solution évasive, pour ne pas dire évanescente et vaporeuse, sous la forme d'une question bien vague : « à l'heure où le chômage atteint des niveaux inégalés, à l'heure où l'austérité frappe durement nombre d'Européens, le volontarisme ne serait plus de mise ? Je ne veux le croire, et je ne peux le croire. » De quoi se compose concrètement ce « volontarisme » pour réduire le chômage et mettre fin au cercle déflationniste qui menace la zone euro ?

Pour une « grande zone économique franco-allemande »

En matière économique, Nicolas Sarkozy défend surtout, dans cette tribune, en forme de « programme européen » la création d'une « grande zone économique franco-allemande. » Le premier réflexe du lecteur est de se dire que cette « grande zone » existe déjà et qu'elle est même tellement grande qu'elle s'étend à 18 pays, c'est la zone euro. Rappelons que la France et l'Allemagne sont déjà intégrées dans une zone économique qui assure la libre circulation des capitaux, des marchandises et des personnes, qui est unie par une seule monnaie, qui dispose d'une seule banque centrale et qui est régie par des règles budgétaires de plus en plus strictes.

Une harmonisation fiscale au menu

Que veut donc de plus Nicolas Sarkozy avec sa « grande zone » ? Une union franco-allemande qui, dit-il, permettra « de mieux défendre nos intérêts face à la concurrence allemande en gommant nos handicaps sociales et fiscales. » La « grande zone économique » de Nicolas Sarkozy est donc le nom qu'il donne à « l'harmonisation fiscale et sociale » franco-allemande. Rien de nouveau, donc, puisqu'il s'agit, depuis quelques années, de la marotte des présidents français. Nicolas Sarkozy l'avait déjà défendu en décembre 2011 dans son discours de Toulon et l'idée a été reprise in extenso le 16 janvier dernier par François Hollande lors de sa « grande » conférence de presse. Voilà donc les deux présidents français réconciliés. Mais cette réconciliation est fondée sur un doux rêve.

Nicolas Sarkozy se garde évidemment bien de dire comment réaliser cette « harmonisation. » Deux options sont possibles. La première, c'est que la France et l'Allemagne se rapprochent en faisant chacune un pas dans la direction de l'autre. La seconde, que la France « ajuste » seule son niveau fiscal et social à celui de l'Allemagne. Nicolas Sarkozy ne tranche pas, il se contente d'appeler à « gommer » la différence.

L'Allemagne peu enthousiaste par cette harmonisation

En réalité, on voit mal comment faire accepter, du côté allemand, cette « harmonisation » dont, comme par hasard, on ne parle jamais outre-Rhin. Malgré les appels des deux derniers hôtes de l'Élysée, l'Allemagne n'a guère bougé vers la France.  Certes, l'écart entre les coûts du travail se réduit, mais la marge reste considérable et ne demande pas d'action de la part de l'Allemagne, jusqu'ici. Ainsi le salaire minimum allemand n'est pas un « pas vers la France » comme le suggèrent les socialistes français. Il est d'abord inférieur à celui de la France, il est ensuite ajustable par une commission en fonction des « besoins » de l'économie allemande et non, comme en France, selon un mécanisme précis. Enfin, le renchérissement induit de la masse salariale globale en Allemagne dépendra des discussions à venir avec les syndicats. Or, on sait qu'en cas de besoin, ces derniers sont toujours prompts à défendre la compétitivité de leurs entreprises. En 2009, ils avaient ainsi accepté de geler les hausses de salaires.

Une passivité allemande est peu crédible

Surtout, l'Allemagne n'aurait pas grand-chose à gagner à « gommer » consciemment les différences avec la France pour que cette dernière soit aussi compétitive qu'elle. On peut se bercer d'illusions en pensant que les entreprises allemandes rêvent d'un marché français en expansion. Sans doute, mais c'est aussi oublier l'essentiel. De ce côté-ci du Rhin, on se gargarise en effet souvent des échanges commerciaux franco-allemands, mais ce qu'on oublie toujours de préciser c'est que, d'une part, les échanges internes à Airbus, représentent une part considérable de ces échanges et gonflent les chiffres et que, d'autre part, la croissance du commerce extérieur allemand se fait principalement désormais sur les zones en croissance, principalement les émergents. Une France plus compétitive risque d'être plus dangereuse sur ses marchés. Pourquoi l'Allemagne se priverait-elle sciemment de son avantage actuel et prendrait-elle le risque de perdre des marchés face aux entreprises françaises ? Aucun gouvernement fédéral allemand ne l'acceptera devant son opinion.

Inévitable réaction allemande…

Du reste, si l'Allemagne s'appuie aujourd'hui sur sa demande intérieure, elle ne le fait que parce qu'elle peut s'appuyer sur une avance compétitive importante. Rien ne dit qu'elle reste immobile si cette avance est « gommée. » La presse conservatrice allemande s'inquiétait déjà la semaine dernière de cette croissance purement interne de l'Allemagne. A lire l'ancien président, on a le sentiment que l'Allemagne va accepter de voir ses avantages compétitifs actuels « gommés » pour que la France revienne à son niveau. Mais on peut aussi, de façon plus réaliste, estimer que l'Allemagne réagira à toute baisse radicale de la fiscalité en France. Et comme sa situation budgétaire est confortable, elle aura les moyens de réduire la charge fiscale et regagner son avance. Il ne lui restera alors que demander à la France de « faire encore des efforts » pour combler l'écart à nouveau créé. Et d'entraîner la France dans une crise sans fin…

Défense de l'austérité

Faute de vrai geste de la part de l'Allemagne, la France devra donc réaliser « seule » cette « harmonisation » à coup de coupes budgétaires. Du reste, le terme utilisé par Nicolas Sarkozy, « handicaps sociaux et fiscaux », est sans équivoque de ce point de vue. Une politique d'austérité pour courir après l'Allemagne qui n'est rien d'autre que la politique qu'a engagée Manuel Valls, et que Nicolas Sarkozy avait engagée en 2011.

Une efficacité très contestable

Mais qu'on ne s'y trompe pas : cette politique d'austérité affaiblira encore l'économie française. Sans garantie, on l'a vu, que l'on « gomme » réellement les différences de compétitivité. D'autant que la France, fortement désindustrialisée, ne pourra guère, même avec des charges moindres, rivaliser avec l'Allemagne sur les marchés industriels. D'abord, on a vu qu'il y aura sans doute une réaction allemande. Ensuite, l'austérité affaiblit la capacité d'innovation des pays en se concentrant sur les seuls coûts, elle bloque les investissements d'avenir. Or, l'avance allemande est d'abord fondée sur la qualité et la technologie. Ceci ne relève pas de la seule fiscalité et certainement pas de la seule différence du coût du travail. Le scénario qui se dessinera alors sera que la France devra entrer dans une « concurrence de coûts » avec l'Espagne et l'Italie.

Une ode à la « japonisation » de l'Europe

Cette « harmonisation » est au mieux une illusion comme en véhiculent tant les politiques français, au pire, une justification « européenne » de l'austérité. Justification bien maladroite car c'est une manière certaine de faire porter dans l'esprit des Français la responsabilité du poids de l'austérité aux Allemands. Ce que promet Nicolas Sarkozy, c'est un approfondissement du risque de « japonisation » de l'Europe, autrement dit du risque de voir la zone euro encore s'enfoncer dans la nasse déflationniste. Un projet qu'il partage avec son successeur et qui prouve, encore une fois, combien les politiques français ont bien peu appris de la crise dont peine à sortir l'Union européenne.