Face aux datas, que reste-t-il du marché de l'art ?

Avec Internet, le marché de l'art n'a pas échappé longtemps à la spéculation... L'art sous cette forme séduit même de plus en plus des profils "d'investisseurs" plus que d'amateurs. Décryptage.
ArtRank tend à analyser les marchés des artistes et les classer selon des catégories : « Achetez maintenant », « Vendez maintenant » et « Liquidez ». Une vision purement spéculative du marché de l'art, qui ne fait pas l'unanimité... | Capture ArtRank

L'approche quantitative a mauvaise presse dans l'art. On l'accuse de reléguer les œuvres au second plan, de les réduire à des objets comptables. Tandis qu'une partie des acteurs prétend l'ignorer, on lui reproche régulièrement de vouloir mettre l'esthétique et l'émotion en équations. Mais, la réalité du marché permet à ces services de prendre progressivement une place de plus en plus importante.

L'art a longtemps tenté d'échapper à cette dimension financière. Il a en partie réussi. Une œuvre, quand bien même serait-elle d'un artiste médiocre, sera toujours plus agréable à détenir qu'un bon du Trésor.

L'information accessible à tous 

Mais dans un marché de plus en plus liquide, en constante inflation, l'information est la clé, et les données ont un poids toujours plus important.

Dans les années 1990, le développement d'Internet a permis à différents acteurs, spécialisés dans le traitement de données, de se faire une place sur le marché de l'art. Aujourd'hui, les principaux sont Artprice, Artnet, Art Anatlytics, Arttactic (qui publie un rapport annuel, en association avec le cabinet Deloitte, et un autre avec Hiscox), Blouin Art Sales Index, Artfacts (anciennement Gordon's) ou Mutual Art. Le rapport publié par la TEFAF, réalisé par Art Economics est également une référence. Un nouvel entrant, Art Rank, ou Sell You Later, a récemment fait son apparition. Ces acteurs ont compris l'intérêt d'offrir au plus large public une base de données, des analyses, que le monde physique n'avait pas la possibilité technique d'offrir. Internet et ces entreprises offrent au marché de l'art un puissant moyen d'information.

En offrant (monnayant) l'information au monde entier, c'est aussi la vérité du prix qui est en jeu.

 

Des acteurs de plus en plus nombreux 

Des acteurs désormais installés, dont Artprice, Artnet, Arttactic, Artfacts, Art Analytics, ou la TEFAF via son rapport annuel, publient, avec plus ou moins de détails et de précisions, des classements à partir des résultats d'enchères, qui sont publics, de compilation de données d'expositions. À partir de ces résultats, différentes données sont extraites, allant de la répartition géographique, au genre des acheteurs. Artfacts propose ainsi de découvrir aux côtés de quels artistes tels plasticiens ont été le plus régulièrement exposés, ou dans quelles galeries ou quels musées tel artiste a été présenté. Artactic propose de son côté, en plus des résultats, des analyses relativement développées, des talks, des séminaires, ainsi que des bases de données de collectionneurs.

Mais, un nouvel acteur est venu perturber ces derniers, qui se sont finalement fait une place au sein du marché…

Développé en 2012 à partir de l'algorithme d'un fonds d'art émergent, Sell you later (renommé ArtRank) tend à analyser les marchés des artistes et les classer selon des catégories : « Achetez maintenant », « Vendez maintenant » et « Liquidez ». Le site a suscité de vives réactions à cause de ses encouragements à considérer l'art comme un marché boursier, purement spéculatif. Mais, il a rapidement bénéficié d'une forte exposition médiatique, grâce à des interviews ou articles sur artspace, le New York Times ou le Financial Times.

« La forme de l'analyse intrinsèque d'ArtRank est unique et est encore la seule forme acceptable de recherche lorsqu'il s'agit de niveaux élevés de financement. Ces données deviennent d'une importance cruciale dans ce marché qui se développe » explique à AMA Carlos A. Rivera, fondateur de la plateforme, âgé de 26 ans.

ArtTactic, propose aussi des services d'analyse qualitative depuis longtemps. La société anglaise interroge un panel de plusieurs centaines d'experts sur des thématiques variées. C'est ainsi qu'elle réalise les rapports pour Hiscox ou son Outlook annuel des artistes contemporains, par exemple.

Récemment, ArtTactic a lancé ArtTactic Forecaster, un site sur lequel n'importe quel participant peut s'essayer à évaluer des œuvres d'art présentées aux enchères.

Mais, la particularité du site Sell You Later est la dimension prédictive des informations proposées, via une méthode qui laisse certains perplexes. Son fondateur, Carlos A. Rivera, ancien marchand d'art et propriétaire d'une galerie, a cherché à rester anonyme pendant un moment. Il ne s'agit plus ici de conseils en investissement, mais de prédictions issues des résultats données par un algorithme. Les créateurs du site auraient analysé plus de 20.000 CV d'artistes pour obtenir des données clés. Puis, ils ont réduit l'échantillon et ont confronté les trajectoires de chaque artiste entre eux. Ensuite, grâce à Instagram, ils ont observé ce que mettaient des collectionneurs avant-gardistes tels Dean Valentine et Anita Zabludowicz sur leurs murs, précise un article du site GalleristNY.

L'information semble tellement étrange que certains ont cru un moment à un canular. Et peu nombreux sont les acteurs se disant convaincus, malgré l'important nombre d'inscrits sur la plateforme.

Jacob Past, CEO d'artnet, nous a donné son point de vue :

« Je pense que c'est un concept intéressant, mais qui n'est pas très utile dans sa forme actuelle. Je ne fais pas confiance aux données sous-jacentes. Je regrette le manque de transparence de la méthodologie. Elle est également trop simpliste pour être véritablement utile, par exemple, la réussite économique est le critère principal, mais il y a d'autres facteurs qui sont tout aussi, sinon plus importants pour des perspectives de long terme ».

 

Des services destinés à la finance ou aux collectionneurs ?

Mais, ces batteries d'informations apparaissent pour beaucoup plus adaptées à des investisseurs souhaitant diversifier leurs portefeuilles avec un actif prestigieux et fiable, qu'aux simples amateurs d'art, aussi fortunés soient-ils.

En 2012, Artnet lançait des « Indices artnet », une série complète d'indices de l'art, précisant dans un communiqué

« Il est désormais possible de suivre l'évolution des prix et d'autres indicateurs majeurs pour mesurer la performance des artistes et de leurs œuvres, avec une rigueur comparable aux indices boursiers […] Nous rendons le marché de l'art plus transparent en fournissant des outils d'analyse qui estiment précisément la rentabilité des investissements dans l'art. Tout comme l'on peut suivre une entreprise du Fortune 500, les Indices artnet permettent de réaliser des analyses quantitatives du marché très pointues pour suivre les performances d'artistes comme Andy Warhol, Damien Hirst, Gerhard Richter ou Yves Klein. »

Ces indices sont conçus grâce à une compilation des résultats de ventes (publiques), tenant compte des caractéristiques de chaque œuvre : le genre, la période, le contenu, le média, la taille et les similarités visuelles.

Comme le souligne à AMA Jacob Past, CEO d'artnet « Nos bases de données de prix et rapports d'analyses sont utilisés par une grande diversité de professionnels, dans le monde de l'art et dans la communauté financière. Ces ressources sont également utilisées par les collectionneurs sérieux et des amateurs d'art qui sont veulent en savoir davantage sur ce marché. Mais, récemment nous avons constaté l'intérêt croissant des conseillers financiers, qui sont à la recherche de nouvelles façons d'exploiter les actifs de leurs clients et d'équilibrer leurs portefeuilles d'investissement après la récession.

Cette volonté de proposer une information se rapprochant au mieux de celle requise dans l'analyse d'actifs purement spéculatifs a également guidé la création d'Art Analytics, un service proposé depuis deux ans par A&F Markets, également propriétaire d'AMA. En utilisant des méthodes d'analyse et de valorisation empruntées des sciences statistiques, de l'économétrie et de l'analyse financière, Art Analytics propose de structurer et expliquer les valorisations fournies, en proposant une démarche totalement neutre et indépendante de la transaction.

Alors qu'une partie des acteurs traditionnels parait toujours mal à l'aise à la vue d'un dédale de graphiques, classements et diagrammes, lorsqu'il s'agit du marché de l'art, qui serait à jamais à l'abri de cette froideur mathématique, considérer l'art comme un produit financier presque classique n'est plus un tabou pour certains. Mais, l'argument majeur de ces fournisseurs de données est la plus grande transparence qu'ils apportent dans un marché souvent décrit comme opaque.

 

Une transparence de façade ?

Le marché de l'art a besoin de davantage de transparence, nombre des acteurs en conviennent. Mais, est-ce que plus de données signifient toujours plus de transparence ?

C'est le mot mis en avant par l'ensemble des acteurs du « marché de l'information » dans l'art, celui de transparence. Thierry Ehrmann, fondateur du site Artprice, en fait son cheval de bataille et répète que son objectif est donc de rendre ce marché, qui a toujours été opaque, enfin transparent. Artprice, qui se revendique leader mondial de la cotation sur le marché de l'Art, propose un vaste ensemble de données, plus de 27 millions d'indices et résultats de ventes couvrant plus de 500.000 artistes, à travers une vaste bibliothèque et la compilation de résultats d'enchères et d'articles de presse. Cette profusion d'informations a pour but de rassurer les collectionneurs et investisseurs, mais n'échappe pas aux critiques…

Carlos A. Rivera, fondateur d'Art Rank, a un avis sur la question. Il nous explique :

« L'histoire des données sur le marché de l'art est troublante. Jusqu'à ArtRank, l'analyse la plus courante de données était basée sur l'évolution des résultats de ventes aux enchères. La facilité avec laquelle l'on peut jongler avec ces résultats est un rêve pour ceux qui manipulent les marchés, mais est vraiment un mauvais service pour tous les autres. »

 

Quels usages pour les acteurs du marché de l'art ?

Une chose est certaine, la vision qu'ont les acteurs traditionnels, galeristes ou experts, a tout de même évolué. Alors que la défiance, voire le rejet total de ces outils, était la norme il y a vingt ans, la croissance du marché et les enjeux financiers désormais engagés ont poussé certains à revoir leurs positions.  Jacob Past explique  : 

« Nous sommes maintenant dans notre 25e année d'activité. La vision du marché de l'art et le rôle de la transparence ont évolué de manière significative pendant cette période. Au départ, nous avons été accueillis avec défiance. Les avantages de la transparence des prix n'étaient pas évidents pour de nombreux acteurs du marché. Des galeries et maisons de ventes étaient réticentes à partager des informations avec nous. Au fil du temps, la plupart des intervenants se sont rendu compte que le marché de l'art ne pouvait pas atteindre son potentiel maximal si celui-ci n'était pas transparent. La plupart des entreprises qui étaient initialement sceptiques sont maintenant nos principaux clients et partenaires ».

Quant à l'usage pratique que peuvent en faire les professionnels, Ralph Taylor, directeur du département contemporain chez Bonhams, Royaume-Uni, précise à AMA le rôle des datas dans l'expertise.

« Il s'agit d'une partie de l'expertise, je dirais un instrument. La connaissance de l'histoire de l'art est primordiale, mais il s'agit d'une partie du processus depuis dix ans. Nous savons par ailleurs que les collectionneurs ont accès à ces chiffres et les connaissent. »

L'apparition de ces outils, rendue possible grâce au développement d'Internet, a définitivement révolutionné le marché de l'art. Tandis que de plus en plus de galeristes ou d'amoureux de l'art se rapprochent de ces bases de données, la distinction entre art et marché se fait de plus en plus mince. Le contexte économique mondial, peu propice à rassurer les investisseurs amène un flux continu de nouveaux capitaux sur le marché de l'art, faisant cohabiter sur un même marché des passionnés aux intérêts différents, mais non antagonistes. Le CEO d'artnet explique d'ailleurs :

« Les collectionneurs achètent encore de l'art parce qu'ils aiment l'art. Mais, ils reconnaissent aussi l'importance de comprendre le marché à travers leurs actifs. Les gens sont plus à l'aise maintenant avec l'idée que l'art peut être acheté et vendu, également en ligne, et que les prix qui en résultent sont un sujet important de l'analyse. »

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Commentaire 1
à écrit le 27/04/2014 à 20:12
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un datum, des data (pas de s, data est déjà un pluriel)

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