Le Brésil, le marché de l’art sous d’autres tropiques

A Sao Paulo apparaît une nouvelle dynamique : acheteurs, galeristes, collecteurs, et artistes pullulent, et pourraient bien faire de la ville la capitale artistique de l'Amérique du Sud...
Une création de Antoni Miralda lors de la Biennale de Sao Paulo de 2006. | REUTERS

Le Brésil connaît une expansion sans précédent. Situé à dix heures de New York et douze heures de Londres, le pays est passé outre sa position isolée pour devenir l'une des plateformes les plus importantes du monde de l'art. Les dix dernières années ont connu une croissance économique importante : on estime qu'en 2020, le pays devrait être la cinquième puissance économique du monde, des statistiques qui semblent déjà se confirmer pour le monde de l'art.

L'essor des galeries brésiliennes

L'immense croissance de l'économie brésilienne au cours de la dernière décennie a conduit non seulement à une augmentation du nombre de centres commerciaux, mis en place pour satisfaire la classe moyenne, mais aussi à une prolifération des galeries d'art. Dominées dans un premier temps par un petit cercle d'élites, collectionneurs et marchands d'art, ces institutions servent désormais un public plus large, plus diversifié de passionnés. Comme le fait remarquer le New York Times en 2012, le marché de l'art à São Paulo « s'étend au-delà de l'élite ».

Selon une enquête menée l'an dernier par le Latitude Project, une collaboration entre la Brazilian Association of Contemporary Art et le Trade and Investment Promotion Agency (APEX), les deux tiers des galeries du Brésil ont été créées après 2000, avec un quart créé depuis 2010.

 

Rendre l'art accessible 

Modifiant activement la forme du marché de l'art du pays, ces institutions ont un impact social inattendu. S'exprimant dans le New York Times, Paul Irvine, cofondateur de l'agence Dehouche spécialisée dans les voyages latino-américains précise : « (dans le passé) les personnes fortunées seraient allées dans les galeries souvent sur rendez-vous et en voiture, car il était dangereux d'errer dans les rues. Aujourd'hui, les espaces implantés un peu partout contribuent à rendre l'art plus accessible au public ».

Une des dernières galeries arrivées est la White Cube São Paulo. La décision d'ouvrir un espace dans cette ville a été annoncée en 2012 peu après sa fermeture à Hoxton Square, à Londres. Seulement deux succursales sont situées à l'extérieur de Londres, ce qui traduit clairement la confiance accordée au marché brésilien. En 2012, Susan May la directrice artistique de la White Cube, déclare : « nous pouvons espérer la venue d'autres galeries, restaurants ou autres, comme cela s'est produit à Hoxton Square, qui était un quartier populaire. Aujourd'hui, il est peuplé de bars et de cafés ».


São Paulo, capitale de l'art 

La White Cube a rejoint un marché florissant, mené par des institutions locales. Beaucoup sont situées dans le quartier de Vila Madalena à São Paulo, dont la White Cube, et le quartier de Pinheiros, contrairement à Londres et New York où les galeries sont largement dispersées dans plusieurs districts.

Le fait que le marché de l'art au Brésil soit concentré à São Paulo et non à Rio, qui est peut-être une ville plus attractive, est un phénomène dû à un certain nombre de facteurs. Une des biennales les plus anciennes du monde prend place à São Paulo. Se produit donc un effet magnétique : l'événement attire plus de 370.000 personnes à chaque édition. De ce fait, pour les galeristes, s'implanter à São Paulo a du sens.

 

Une source d'inspiration pour de nombreux artistes

D'autres facteurs, moins quantifiables, sont également pris en compte dans la popularité écrasante de la ville. Au sujet de la « créativité » de São Paulo, Samantha Pearson déclare dans un article datant d'octobre 2013, publié dans le Financial Times que : « la censure sous la dictature militaire de 1964 à 1985 a forcé toute une génération à s'exprimer de façon allégorique ». Selon elle, l'« esthétique brutale de la ville elle-même » jouerait aussi un rôle dans l'inspiration artistique.

De plus, la ville est décrite comme un « conglomérat moderniste de gris qui est parfois si inhumain que la créativité surgit comme une forme de protestation ». Pour Samantha Pearson, cette créativité provient principalement de la prolifération des arts de la rue à travers la ville, une forme d'expression qui vise peut-être à transformer l'austérité environnante.
À São Paulo, la profusion de nouveaux bâtiments, et l'absence de verdure qu'ils impliquent, a été considérée ces dernières années comme un synonyme de développement, une démonstration visuelle du crescendo économique du pays. L'architecture même des galeries d'art va dans ce sens, à l'encontre du modèle européen qu'est le « white cube ». À São Paulo, les espaces dédiés à l'art sont de formes très variées et remarquablement vastes.

 

Promouvoir les artistes locaux

Ouverte en 2011, la galerie Raquel Arnaud est parmi les plus spacieuses. Cette dernière abrite un espace de trois étages sur 930 m2. Cet espace est une conséquence directe de l'expansion du Brésil : comme la collection de Raquel Arnaud grandissait, elle a cherché un lieu plus important, capable d'abriter les travaux des 12 artistes qu'elle représente, comme Sergio Camargo et Frida Baranek.

Dans la même lignée, la galerie Luciana Brito trouve sa place dans un ancien entrepôt qui offre un immense espace d'exposition et des bureaux séparés par des couloirs labyrinthiques. Fondée par Luciana Brito, la galerie vise à promouvoir le travail d'artistes brésiliens, mais expose également des artistes internationaux de renom comme Marina Abramovic et Alex Katz.

 

L'art pop trouve sa place 

D'autres galeries viennent briser l'esthétique « white cube », la très undergroud Choque Culturel par exemple. Elle met l'accent sur le « pop et l'art jeune ». Fondée en 2004 par Mariana Martins et Baixo Ribeiro, la galerie prend place dans une maison traditionnelle de deux étages, qui offre une façade ornée de graffitis sur des damiers colorés.

Baixo Ribeiro a d'abord été sceptique sur l'intérêt que portaient les Brésiliens sur l'art. Conçernant les premières étapes de son projet, il déclare en 2012 dans The International New York Times : « à l'époque, j'étais un renégat, et il n'y avait pas d'intérêt dans l'art ». Aujourd'hui, Choque Culturel s'est élargie et possède un second espace blanc et géométrique qui présente des vidéos et des installations.

 

Une nouvelle classe d'acheteur 

L'intérêt croissant pour l'art va de pair avec la formation d'une nouvelle classe sociale qui peut envisager l'achat des œuvres. Le phénomène est illustré par un certain nombre de projets qui visent à « éduquer » les nouveaux collectionneurs du Brésil. Fondée par le couple d'artistes Albano Afonso et Sandra Cinto, l'Ateliê Fidalga de São Paulo fonctionne comme un « collectif et atelier » et propose des conférences organisées par et pour des artistes émergents de la région. Le couple confie à un journaliste de The International New York Times : « c'est là que nous travaillons, mais c'est un lieu d'interaction entre les artistes et les visiteurs. Nous pensons qu'il devrait toujours y avoir un dialogue autour de l'art et c'est ce que nous essayons d'améliorer ».

D'autres galeries ont cette volonté de « dialogue » , comme la galerie Jaqueline Martins, ouverte en 2011 et située à quelques pas de l'Ateliê Fidalga. Le directeur Guido Hunn a déclaré à The International New York Times : « notre objectif est d'établir un lien entre des artistes émergents et des artistes confirmés ».

 

L'appétit du collectionneur brésilien

Alors que le marché intérieur de l'art dans le pays, 591 millions de dollars, pourrait ne représenter qu'1 % du marché de l'art dans le monde, une enquête de 2013 réalisée par Latitude rend compte que les ventes dans les galeries au Brésil ont augmenté de 22,5 % en 2012.

Parmi celles-ci, la majorité se vend à des collectionneurs brésiliens qui, en 2012, représentaient 71 % des ventes dans les galeries. Seulement 11,5 % sont des collectionneurs privés étrangers. L'achat d' œuvres d'art par les entreprises dans un but d'accroître leur collection reste faible, il représente 6 % cette même année. Enfin, 4,25 % sont la part relativement faible effectuée par les institutions brésiliennes.

 

Une demande qui fait gonfler les prix

Une hausse dans les ventes au sein des galeries a conduit à une hausse des prix des œuvres : une étude réalisée par Latitude a montré qu'en 2012, 60 % des galeries avaient augmenté leurs prix de 15 %, le prix moyen sur le marché étant de 22.000 R $ (9400 $).

Pour la première génération de collectionneurs d'art contemporain au Brésil, des prix tels que ceux-ci semblent incroyables. L'un des collectionneurs les plus importants du pays, Regina Pinho de Almeida a passé des décennies à constituer une importante collection d'art contemporain : nichée derrière un mur de sécurité et dominant le quartier verdoyant d'Alto de Pinheiros à São Paulo, sa maison dispose d'œuvres d'artistes de renom dont Sergio de Camargo, João Loureiro, et Nazareno. Beaucoup n'ont acquis une valeur considérable que très récemment.

 

Des artistes qui s'exportent

Pinho de Almeida rappelle la difficulté dans le passé, de vendre des œuvres de Mira Schendel, l'artiste brésilienne d'origine suisse est aujourd'hui considérée comme une artiste si importante que la Tate Mo- dern de Londres a récemment organisé « la première exposition internationale à grande échelle de son travail ». Lorsque Pinho de Almeida a acquis plusieurs œuvres de l'artiste en 1990, elle a eu des difficultés pour les vendre entre 100 et 400 $. Elle déclare au Financial Times : « il n'y avait aucun marché autour de Schendel et peu de collectionneurs ici. Un artiste ne pouvait pas vivre de son travail ».

L'intérêt porté par la Tate pour son travail a montré que la culture était davantage ouverte à des échanges internationaux, une révolution menée par des galeristes tels que Luisa Strina et Marcantônio Vilaça, qui, dans les années 1990, ont commencé à prendre des œuvres d'artistes brésiliens pour des foires d'art à l'étranger. Les activités de ces derniers sont construites sur une sensibilité internationale établie par des événements tels que la Biennale de São Paulo qui, depuis son ouverture en 1951, cherche à promouvoir un marché international pour les œuvres brésiliennes.

 

Les artistes étrangers sont les bienvenus 

Bien que les exportations d'artistes brésiliens donnent lieu à des expositions d'envergure comme celle de Mira Schendel, de nouveaux collectionneurs sont intéressés par les œuvres d'artistes étrangers : aujourd'hui , environ 75 % des galeries du Brésil représentent des artistes étrangers. Cela est lié à l'augmentation des achats d'œuvres par les étrangers, qui ont bondi de 350 % depuis 2007, passant à une valeur de 27,1 M $ en 2012.

Qu'ils soient collectionneurs ou non, les Brésiliens n'ont pas oublié les institutions majeures. L'augmentation de la fréquentation de celles-ci a été attribuée au développement d'une nouvelle classe moyenne instruite et à l'amélioration des relations entre les institutions brésiliennes et étrangères.

 

Des investissements colossaux

« Impressionism: Paris and Modernity », une exposition d'œuvres de Monet, Manet, Renoir et Gauguin a récemment eu lieu à la Cultural Banco do Brasil Centro et a attiré 886.000 personnes, tandis que l'exposition de MC Escher de 2011, a drainé environ 1,2 million de visiteurs.

La présence de « Banco do Brasil » est un indicateur clair du lien fort entre les entreprises du Brésil et de ses institutions culturelles. C'est en partie en raison de la « loi Rouanet », loi de 1991, qui permet aux sociétés de déduire de leurs impôts le montant investi dans des projets culturels. En 2012, l'investissement dans la culture s'élève à 630 millions de dollars.

 

Une proximité naturelle entre art et entreprise

Pour un certain nombre d'établissements privés du pays, cette proximité entre l'art et le monde de l'entreprise est devenue naturelle. Cette incursion dans le monde de l'art est aujourd'hui une activité sérieuse. Itaú Unibanco, la plus grande banque privée d'Amérique latine, possède une collection de 12.000 œuvres d'art, financées par les familles Setubal et Salles.

Inhotim, l'immense jardin, ou musée à ciel ouvert de 5.000 hectares, est un projet rendu possible par l'homme d'affaires milliardaire Bernardo Paz. Parmi les artistes exposés, se trouvent Olafur Eliasson, Anish Kapoor, Matthew Barney, Chris Burden et Janet Cardiff. Depuis son ouverture en 2006, le complexe a attiré environ 250.000 visiteurs chaque année.
L'enthousiasme du Brésil pour l'art est fort : longtemps considéré comme isolé géographiquement et culturellement, il est aujourd'hui engagé dans son art et étend son marché à l'international. Par une croissance rapide constatée et un intérêt public fort, le Brésil est devenu un des centres émergents les plus importants dans l'art.

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Commentaires 2
à écrit le 16/04/2014 à 17:21
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@de l'art? Grotesque ? Vous parlez des sculptures médiévales qui ont une parenté avec un certain art brésilien ? Ou de votre commentaire ? Dans ce cas vous êtes un maître de la mise en abîme ! Mdr

à écrit le 16/04/2014 à 9:03
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grotesque.

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