De l'art de l'épouillage en politique et dans les affaires

Le paléoanthropologue Pascal Picq nous raconte comment les singes, et en particulier les chimpanzés ont développé d'étonnants talents politiques. De quoi donner à nos candidats à la présidentielle une leçon de primatologie politique. Et aux managers des clefs pour leurs équipes. Bienvenue dans la planète des singes.
Copyright Reuters

On le sait, l'homme descend du singe. En fait, non, c'est un singe. Ou plus précisément un frère d'évolution. Voilà une précision lourde de conséquences que Pascal Picq, tombé en primatologie aux Etats-Unis dans les années 1980, a décidé d'établir. Depuis de nombreuses années, ce professeur au Collège de France se promène en habitué dans la planète des singes, notamment les grands. Au point qu'il a élargi le champ de l'éthologie en étudiant l'art politique chez les chimpanzés, les plus démoniaques de l'espèce. S'ils n'ont pas lu « Le Prince » de Machiavel, ils n'en restent pas moins capables de développer des stratégies d'alliance pour prendre le pouvoir et le conserver tout en gérant les affaires, non pas de la Cité, mais du groupe et de son territoire. « C'est un art qu'ils pratiquent sans langage, ce qui ne veut pas dire sans communication », explique Pascal Picq, auteur de « L'homme est-il un grand singe politique ? » (Odile Jacob ). A l'heure où la communication non verbale occupe de plus en plus de place dans les commentaires des politologues, l'observation des chimpanzés, maîtres en épouillage, révèle que les racines de la politique sont plus anciennes que l'humanité. « Ce qui nous ramène bien au-delà des calendes grecques et permet de s'interroger sur des évidences comme l'importance de la force physique, le rôle prétendument secondaire des femmes ou encore les privilèges sexuels des mâles envers les femelles », souligne le paléoanthropologue, presque goguenard. Charles Darwin en son temps avait ouvert la voie dans « la descendance de l'homme et la sélection liée au sexe » (1871) en observant que nos aptitudes à la politique provenaient des instincts sociaux des mammifères et des singes. Un siècle plus tard, on en sait plus grâce à l'éthologie, la psychologie comparée et les sciences cognitives.

Le dominant doit adopter les attitudes inhérents à sa position

A l'évidence, tant hier sur l'Agora à Athènes qu'aujourd'hui sur les chaînes de télévision, la maîtrise des subtilités langagières de la rhétorique est nécessaire pour imposer un discours politique convaincant. Mais pas seulement. « L'Agora s'étant effacée devant des écrans de télévision aussi plats que les discours et les programmes où les leaders ne font plus l'opinion mais la suivent. On revient à de la politique sans « logos » », écrit Pascal Picq. Ce fin observateur des singes s'est forgé une conviction : une campagne électorale ne se gagne pas sans une bonne pratique de l'épouillage. Ainsi, un chimpanzé mâle voulant accéder au sommet de sa hiérarchie s'évertue dans un premier temps à s'assurer du soutien des femelles, le plus souvent en entretenant des relations aimables, parfois par intimidation physique si nécessaire. Il les épouille, partage volontiers la nourriture et assure leur protection. Puis il en fait de même avec les autres mâles, sans manquer de respect au dominant. Mais une fois ses relations avec les femelles et les autres mâles solidement établies, il va défier le mâle dominant. « Avec le partage de la nourriture, l'épouillage est donc le principal moyen de se construire des alliances », explique le scientifique. C'est d'ailleurs ce que font nos candidats lorsqu'ils se rendent sur les places de marchés, mais avec moins de talent. Car si l'on considère, à l'instar de Pascal Picq, que l'essentiel réside dans les attitudes, les mains serrées, les embrassades, et les attouchements, nos politiques ne sont pas tous, loin s'en faut, préparés aux bains de foules. Si Edouard Balladur serait allé « tâter le cul des vaches » à la Chirac, il aurait eu plus de chances de battre son ami de trente ans aux élections de 1995. A l'inverse, une partie du succès de Ségolène Royal est venue de sa capacité d'écoute et de créer du lien. Certains sont donc plus doués que d'autres, Chirac restant le maître incontesté de l'épouillage. Giscard était parti d'un bon pied, mais « ses tentatives d'épouillage ont piqué au vif des classes populaires qui, quitte à être cantonnées à la place que leur accorde la société, préfèrent au moins qu'on les y laisse tranquilles. Quand Giscard s'est invité dans une famille dont le père était éboueur, ce n'est pas passé. Pire, quand Sarkozy a déboulé dans une cité avec service d'ordre, cela a soulevé de la colère, violation d'un espace vital propre à tout mammifère », analyse ce fils d'ouvrier, pur produit de la méritocratie républicaine. Selon lui, en voulant désacraliser la fonction présidentielle, Nicolas Sarkozy a effacé sans garde-fou toute les formes symboliques de reconnaissance du pouvoir. Et de rappeler que chez les Chimpanzés, comme chez toutes les espèces, le dominant doit adopter les attitudes et les comportements inhérents à sa position : port de tête et des épaules qui donnent plus de prestance et de puissance, poils hérissés, déplacements sans précipitation, contrôle des expressions faciales et des mimiques, gestes modérés, des interventions circonspectes dans des moments importants. « Sarkozy reste un enfant de l'ère télévisuelle dont les codes violent tous les fondements les plus élémentaires de l'anthropologie et de l'éthologie », souligne le professeur du Collège de France. A commencer par les relations de réciprocité qui deviennent très précieuses lors des conflits. Quand un chimpanzé se trouve menacé, il tend le bras paume ouverte vers le haut pour solliciter l'aide de son ami. S'il peut compter dessus, il commence alors à défier le dominant, d'abord en respectant de moins en moins les signes de salut et de domination formelle, puis en multipliant les provocations, tout comme Sarkozy face à Chirac au cours de l'élection présidentielle de 2007. Mais là où le nouveau président aurait dû mieux suivre la stratégie d'alliance de ses frères d'évolution, c'est en répondant aux attentes de ses obligés, ceux qui l'on aidé à accéder au pouvoir, au risque sinon de voir les alliés d'hier devenir les rivaux de demain. Quand rancoeurs et rancunes s'accumulent, provoquant instabilité, conflits et revirements hiérarchiques, chez les chimpanzés, on en termine par le meurtre du chef sans autre forme de procès. Pascal Picq sait de quoi il parle : il en a été le témoin quasi fortuit. En 1998, venu filmer un documentaire au Zoo d'Arnhem en Hollande, il voit en direct le malheureux Ayo, numéro deux briguant la place de chef suprême, se faire agresser par ses congénères pour n'avoir pas su bien respecter le lien de demi-sang qu'unissait le numéro un et le numéro trois. Une agression qui donnera son nom au film : « Du Rififi chez les Chimpanzés », et un tournant majeur dans sa compréhension des relations de pouvoir.

Faire un détour par les singes pour mieux comprendre les humains

Bon vivant, et sans doute épouilleur à ses heures, Pascal Picq aime secouer le cocotier : « Un cours d'éthologie politique ne serait pas mal venu à la place de toutes ces salades diététiques et insipides des communicants. Le fait que les Chimpanzés se comportent de la sorte nous renvoie à l'impérieuse nécessité de repenser la politique et la violence dans une perspective qui dépasse les seules sociétés humaines dites civilisées en se dégageant des divisions obsolètes entre sauvages, barbares et civilisés. C'était bien le message du film « La Planète des singes » de 1968 ». Pour autant, notre « animal professeur » donne du fil à retordre à plusieurs chapelles. A commencer par les adeptes d'une sociobiologie, certes quelque peu passée de mode, qui défendait des théories hiérarchiques fondée sur le biologique pour justifier les exclusions sociales. Mais aussi les sciences humaines encore très rétives à l'apport des avancées de la biologie et sourdes à l'éthologie. « Est-ce porter atteinte à la dignité de l'homme que de chercher à dégager en quoi il partage certains comportements sociaux et cognitifs avec ses frères d'évolution ? » Il ne s'agit pas de réduire l'homme à une portion de chimpanzé, mais de faire un détour par les singes pour mieux comprendre certains comportements humains à l'?uvre dans les stratégies d'accession au pouvoir politique. Après tout, si en singeant d'Alembert, nous pouvons dire que « la politique est l'art de tromper les Chimpanzés », notre narcissisme en souffrira un peu mais nos débats y gagneront largement en sérénité.
 

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 27/05/2012 à 7:54
Signaler
Si Edouard Balladur ETAIT ( et non "serait" ) , svp.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.