Juger avec discernement, agir prudemment

Chaque semaine, découvrez les chroniques sur la vie au bureau réalisée par Sophie Péters. Anecdotes, conseils, expériences : pour sourire mais aussi mieux se sentir dans son job.

Dans ces temps tourmentés, il va nous falloir bien plus qu'une boussole. Bien plus que des conseils avisés. Quoi alors ? Aiguiser notre sens du jugement pour passer à l'action. Mais qu'est-ce que juger juste ? Le philosophe Charles Pépin, invité à discourir par le cabinet Michael Page devant un parterre de cadres en état d'inquiétude, a secoué l'auditoire empli de certitudes : « Ce n'est pas appliquer une règle à un cas particulier. C'est partir du cas particulier pour inventer la règle de demain. Faire le deuil du juste au sens idéal du terme pour s'ajuster au mieux ». Et le penseur d'asséner : « Il faut aujourd'hui renoncer aux valeurs universelles (le bien/le mal) sans tomber dans le relativisme (tout se vaut), mais être dans la problématique aristotélicienne de l'ajustement à la complexité. Et ne plus vendre aux individus des idéaux et une pureté inaccessibles au risque de les rendre fous et malheureux en les coupant du réel ».

Exit donc le Ciel des Idées cher à Platon. Préférons lui Aristote et sa théorie de l'action (praxis) et de la prudence (phronèsis). Une connaissance pratique capable de diriger l'action indépendamment de sa référence à un savoir transcendant. L'homme « phronimos » est reconnu à son action juste, bien délibérée, et non à son savoir théorique. Il compose avec les circonstances pour agir, se contente du meilleur possible, sans être passif, et ne recherche pas un absolu illusoire.

Immense solitude

Le jugement s'exerce donc dans la pratique. Tel un capitaine barrant son navire dans la tempête, il y a une grandeur d'agir dans l'incertitude et dans l'urgence. Mais c'est aussi un moment d'immense solitude, quand tout ce qui semble acquis ne sert à rien. Reste à créer et inventer. Pour cela, il faut accepter de ne pas tout comprendre. Ceux qui se sentent perdus cherchent trop de réponses. Or, comme le disait Lacan, tout le problème est d'accepter de ne pas comprendre pour se concentrer sur l'écoute. Trop de volonté de comprendre tue la compréhension. Mieux vaut s'ouvrir à une écoute sans jugement, une écoute du sens. La prudence ou la sagacité consistera alors à s'appuyer sur les contingences en faisant un juste usage des passions et des affects selon les circonstances. Juger et agir nous réclament d'être nous-mêmes, sachant que la situation ne nous impose jamais rien d'elle-même. Elle laisse toujours une marge d'appréciation. Et Charles Pépin de conclure : « c'est très fatiguant de ne pas être platonicien ! »

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