"La société est de plus en plus allergique aux dommages, et c'est une bonne chose"

Entretien avec Gilles Motet, professeur à l'INSA de Toulouse et directeur scientifique de la Foncsi
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Quels sont les grands axes de recherche sur lesquels travaille la Fondation pour une culture de sécurité industrielle ?

Le premier thème sur lequel nous avons travaillé est le retour d'expérience, c'est-à-dire les leçons qu'on peut tirer d'un incident ou d'un accident. Nous avons abordé ce sujet sous un angle socioculturel en nous demandant quel était le type de relations à mettre en place dans l'entreprise pour faciliter ce retour d'expérience. Si, en cas de presque accident, le salarié qui révèle une anomalie est sanctionné, le retour d'expérience sera impossible à mettre en place.

Nous nous intéressons aussi au problème de la décision en situation d'incertitude. La conception de nouvelles fonctionnalités de produits ou de nouvelles technologies de réalisation, mais aussi l'organisation du travail, induisent des risques nouveaux pour lesquels il n'existe pas de données issues du retour d'expérience. Comment assurer alors un niveau de sécurité suffisant ?

Le dernier programme concerne l'étude des processus de négociation entre les diverses parties prenantes afin d'obtenir des accords durables. Il cherche à dépasser la notion d'acceptabilité du risque pour établir de nouveaux termes d'accord.

Vous vous intéressez aussi aux structures de concertation entre élus locaux, industriels et populations.

Oui, mais en prenant là encore le problème à l'envers. Il existe aujourd'hui des structures, comme les Clic (Commissions locales d'information et de concertation) ou les Clin pour le nucléaire, mais elles sont toutes instituées directement par l'État. Nous nous sommes demandés, au contraire, comment permettre à l'ensemble des parties prenantes de co-construire un outil de concertation. Des travaux ont été expérimentés à Feyzin, près de Lyon, et l'outil mis en place fonctionne très bien car les gens se le sont approprié. La société change et on ne peut plus utiliser les modes de relations d'il y a 20 ans.

La société semble de plus en plus allergique au risque...

Elle est plutôt de plus en plus allergique aux dommages, et c'est une bonne chose. Il y a peu, on pouvait considérer que le progrès scientifique avait un prix, une sorte de tribut à payer pour profiter de ses avantages. Aujourd'hui, la société n'accepte plus ce principe. C'est pour cela qu'il faut accompagner les progrès scientifiques et techniques par de nouvelles connaissances sur la gestion des risques. Et notre rôle est justement de développer et de diffuser cette connaissance, et de faire partager les bonnes pratiques.

Quels sont vos objectifs pour les années à venir ?

Nous voulons passer du pluridisciplinaire à l'interdisciplinaire. En effet, la sécurité industrielle n'est pas une discipline scientifique, mais elle a besoin de toutes les disciplines : sciences de l'ingénieur, sociologie, droit, économie etc.... Pour faire travailler ensemble les spécialistes de ces différentes disciplines, il faut d'abord leur permettre de se comprendre. Nous nous proposons donc de rédiger des sortes de « Que sais-je » décrivant les basiques de chacune de ces disciplines.

Un autre de nos objectifs est de nous internationaliser davantage. Parce que les industriels avec lesquels nous travaillons sont des groupes mondiaux. Parce que les questions que pose la sécurité industrielle sont issues de préoccupations transnationales. Et enfin parce que la façon de regarder les choses diffère selon les régions du monde. Par exemple certains pays sont très focalisés sur la règle, sur l'écrit, sur la procédure. Dans d'autres, au contraire, on assiste à une négociation permanente sur la mise en oeuvre des règles. Travailler avec les industriels et les chercheurs d'autres pays devrait vraiment nous enrichir par leurs questions et leurs pratiques.

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