Aux États-Unis, la voiture ne fait plus rêver

Autopartage, désintérêt de la jeunesse américaine, retour du tramway en centre-ville : après plusieurs décennies de règne sans partage sur les routes américaines, l'automobile est remise en question, au profit d'autres formes de mobilité.
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Times Square transformé en vaste showroom de Mini Cooper le temps d?une journée : c?était le 14 avril dernier, pour célébrer l?entrée fracassante de Zipcar au Nasdaq. Zipcar?? Une start-up d?autopartage fondée à Boston en 2000. Onze ans plus tard, 650?000?utilisateurs dans quatorze grandes villes américaines avaient souscrit un abonnement annuel, pour louer à l?heure ou à la journée l?une des 8?000 voitures de la start-up, assurance et essence comprises. L?entreprise cumule 65,4 millions de dollars de pertes, et a annoncé qu?elle ne serait pas rentable en 2011. Et pourtant, le soir de son introduction en Bourse, les actions Zipcar avaient bondi de 56 %. Il faut dire qu?elle représente 80 % du marché américain de l?autopartage, un marché qui s?annonce radieux?: Frost & Sullivan, un cabinet conseil en stratégie, estime dans une étude que cette nouvelle tendance de la mobilité aux États-Unis atteindra les 3 milliards de dollars en 2016, avec 4,4 millions de clients. Une multitude de concurrents se sont d?ailleurs engouffrés sur ce marché?: Hertz on Demand, WeCar, RelayRides?
L?autopartage est perçu comme une solution à l?augmentation des coûts de transports : il a bondi de 117 % entre 2007 et 2009, alors que le baril de pétrole atteignait les 140 dollars, et que la crise des subprimes explosait. « Aux États-Unis, depuis quelques années, l?utilisation de l?automobile semble avoir atteint un plateau, observe Chris Zegras, chercheur spécialisé dans les transports au Massachusetts Institute of Technology (MIT), avec la crise économique et la prise de conscience progressive de la trop forte dépendance au pétrole, la voiture a perdu de son attrait, et les Américains aspirent à d?autres formes de mobilité. » Une évolution qui s?observe aussi dans le succès des petites citadines très économes en carburant?: Ford Fiesta, Chevrolet Aveo et Cruze, et autres petits modèles des constructeurs asiatiques étaient à l?honneur du dernier salon automobile de Detroit.

Le permis de conduire moins attractif
Reste que start-up de l?autopartage et constructeurs sont confrontés à un défi, confirmé par plusieurs études récentes?: le désintérêt manifesté par la fameuse génération Y pour la voiture. Le pourcentage de jeunes Américains âgés de 21 à 34 ans ayant acheté une voiture neuve est tombé à 27 % aujourd?hui, contre 38 % en 1985, d?après une étude de CNW, un autre cabinet conseil. Plus étonnant encore, les jeunes passent moins leur permis de conduire?: 82 % des 20-24?ans, selon les chiffres du département des transports américain, en 2008, quand ils étaient 87 % en 1994. Quant aux jeunes de 16 ans, seulement 31 % sont en apprentissage de la conduite, contre 42 % en 1994.
Les raisons ne sont pas seulement économiques. Certes, conduire devient de plus en plus cher pour cette frange de la population qui subit de plein fouet la crise économique, avec un taux de chômage élevé, mais les raisons sont plus profondes. La génération Y préférerait s?équiper en gadgets électroniques qui permettent de se connecter sans avoir besoin de se voir physiquement plutôt que d?investir dans les modèles de mobilité de ses parents. Elle est aussi plus soucieuse de l?environnement et de la dépendance énergétique des États-Unis au pétrole.
Comment compte-t-elle se déplacer?? En transports en commun. Et c?est là une autre tendance de la mobilité durable aux États-Unis?: 70 villes américaines ont des projets de tramway et métro léger. Longtemps bloqués par l?administration Bush, peu d?entre eux ont abouti, mais l?administration Obama s?est montrée plus réceptive. Dans le cadre du plan de relance de l?économie, un fonds doté de 600 millions de dollars, le TIGER II (Transportation Investment Generating Economic Recovery) est destiné à aider les villes qui le souhaitent à développer un réseau de transports en commun. Ainsi, Atlanta, l?une des agglomérations les plus embouteillées des États-Unis, a reçu en septembre 2010 47 millions de dollars pour se doter d?un nouveau tramway, qui devrait être mis en service début 2013.

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Quand la voiture chassait le tramway
N?uds autoroutiers en forme de plats de spaghettis, voies rapides larges de 2 x 6 voies, drive-in, banlieues pavillonnaires qui s?étalent à l?infini, centres commerciaux trônant au c?ur de parkings à perte de vue? Aux États-Unis, c?est bien connu, la voiture est reine, au point qu?il est souvent impossible de se déplacer sans elle. Ça n?a pas toujours été le cas. Au début du XXe siècle, toutes les grandes villes américaines étaient parcourues par des tramways. Mais à partir des années 1950, la concurrence de la voiture devient trop rude pour les exploitants de « streetcars », qui finissent par faire faillite. Les municipalités les démantèlent et les remplacent par de larges voies rapides, dont l?exemple le plus fameux est celui de Los Angeles. Une politique encouragée au plus haut niveau : en 1956, le président Eisenhower lance un vaste schéma de construction d?autoroutes, l?Interstate Highway System, pour relier entre eux tous les centres urbains des 48 États continentaux. Trente-cinq ans auront été nécessaires pour achever ce réseau, qui atteint aujourd?hui 75 000 km.

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Singapour : le laboratoire de la mobilité du futur
Grave dilemme pour le gouvernement de Singapour : comment augmenter la population de 20 % en vingt ans, sans entraver sa mobilité mais sans non plus quadriller l?île d?infrastructures dévoreuses d?espace?? Pour gérer cette expansion de façon intégrée et durable du point de vue environnemental, il a lancé en octobre 2009 avec l?aide du Massachusetts Institute of Technology (MIT) un vaste laboratoire de mobilité urbaine, le Singapore-MIT Alliance for Research and Technology Center (Smart), qui a attiré 60 spécialistes des transports et de l?aménagement urbain. Le programme doit s?étendre sur cinq ans, avec pour objectifs d?étudier le fonctionnement de la ville et de proposer des améliorations. L?électronique est au c?ur des solutions : les voyageurs peuvent déjà télécharger une multitude de « smart apps » sur leurs téléphones portables. Des programmes permettent de suivre seconde par seconde le nombre de bus et de taxis en circulation, et leur localisation précise. L?utilisation des autoroutes est soumise à un péage variable en fonction du trafic, de l?heure et du lieu. Un centre de gestion du trafic surveille le réseau autoroutier 24 heures sur 24. Enfin, ce qui serait considéré comme une hérésie partout ailleurs, le prix des voitures a été relevé. Le gouvernement de Singapour espère retirer de ce partenariat une expertise en mobilité urbaine qu?il pourra exporter vers d?autres villes asiatiques, comme Djakarta, Bangkok ou Mumbai, qui souffrent de congestion chronique.

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