Ce que la législation américaine pourrait changer pour la gestion d'actifs française

La loi Dodd-Frank va modifier la donne dès 2011 et la règle Volcker à partir de 2012. État des lieux.
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L'industrie française de la gestion d'actifs a-t-elle bien réalisé les éventuelles implications que pourrait avoir la loi Dodd-Frank, adoptée aux États-Unis le 21 juillet dernier ? Pas certain. Et pourtant, ses règles d'application se jouent ces jours-ci.

Chaque fois qu'elle propose de nouvelles règles, la SEC (Securities and Exchange Commission) organise des consultations publiques, dont les résultats sont publiés sur son site Internet, l'objectif étant de récolter différents avis pour proposer de nouvelles règles ou des aménagements. La loi Dodd-Frank n'échappe pas à la règle. Ainsi, le 19 novembre, le régulateur américain en a organisé une sur les dispositions du Titre IV de cette loi qui porte, entre autres choses, sur les conditions d'enregistrement des « investment advisers » (sociétés de gestion) auprès de la SEC, et les obligations de reporting des acteurs qui en sont exemptés.

Les sociétés de gestion étrangères visées

Cette loi, qui modifie l'« Investment Adviser Act of 1940 », comporte de nombreuses implications extraterritoriales. Traduction : elle concerne les acteurs non américains. Parmi eux, les sociétés de gestion étrangères, et donc françaises. « La loi Dodd-Frank supprime, sous certaines conditions, la dispense pour une société de gestion étrangère de ne pas être inscrite auprès de la SEC, explique Julien Bourgeois, associé au cabinet d'avocats Dechert à Washington. Qu'elle soit domiciliée aux États-Unis ou pas, elle devra s'enregistrer à partir du moment où elle gère au moins 25 millions de dollars d'encours [la SEC pouvant monter ce seuil, Ndlr] provenant d'investisseurs américains ou si le nombre de clients investis sur l'ensemble des ?private funds? [OPCVM, hedge fund, private equity...] est supérieur à 14. »

Cette mesure entrera en vigueur le 21 juillet 2011 et représente un vrai challenge pour l'industrie de la gestion d'actifs française. Certains acteurs l'ont bien compris. C'est le cas, par exemple, d'Axa Investment Managers qui devra désormais s'enregistrer. « Depuis cet été, nous nous sommes mis en ordre de bataille et avons missionné deux personnes pour identifier les conséquences de cette loi sur notre activité aux États-Unis, indique Xavier Thomin, directeur des affaires juridiques et de la conformité chez Axa IM. Les résultats de cette étude ont récemment été présentés à notre comité de direction, ainsi que le plan d'actions de mise en conformité avec les nouvelles obligations de la SEC. Il vise un dépôt des dossiers au plus tard le 6 juin 2011 pour être ainsi opérationnel le 21 juillet 2011. »

Supervision de la SEC

L'Autorité des marchés financiers (AMF) semble aussi avoir saisi l'importance de la loi Dodd-Frank puisqu'elle l'évoque dans sa dernière lettre trimestrielle à la rubrique « Enjeux » : « Dans les faits, il est fort probable qu'un grand nombre de gestionnaires non américains ne pourra bénéficier d'une exemption », constate l'AMF. « Cette mesure implique de se soumettre à la supervision de la SEC, au droit et aux juridictions américaines, avec tout ce que cela implique, notamment en matière de contentieux, note Olivier Dumas, associé de Dechert à Paris. Au final, une double réglementation, locale et américaine, encadrera les ?enregistrés?. » Par ailleurs, être en règle a un coût : nommer un responsable de la conformité, maintenir des registres et archives pour répondre aux enquêtes du régulateur. Si les grandes maisons y feront face, cela sera plus dur pour des structures moyennes.

Autre point concernant la gestion d'actifs : la « Volcker Rule », du nom de l'ancien président de la Réserve fédérale. Véritable pierre angulaire de la réforme financière, « cette règle s'applique aux établissements bénéficiant du système public de garantie des dépôts, aux ?bank holding company? [banque détenant une ou plusieurs banques] », indique Julien Bourgeois. Mais aussi aux banques non américaines détenant au moins 25 % des actions avec droit de vote d'une entité bancaire américaine. Tout comme une filiale ou succursale aux États-Unis. Ses structures seront aussi considérées comme une entité bancaire et tomberont sous le coup de cette règle. « À la manière d'un virus, la règle se ?propage? à sa maison mère ainsi qu'à ses autres entités », raconte l'avocat.

Interdit aux banques la gestion pour compte propre

Dans les faits, cette règle interdit aux banques la gestion pour compte propre. Elle stipule aussi qu'un établissement ne peut détenir plus de 3 % de l'actif d'un fonds de moins d'un an, et qu'il peut investir 3 % maximum de ses fonds propres dans des hedge funds ou des fonds de private equity. Le parrainage sous son nom de ce type de produits lui est interdit. En revanche, rien n'empêche de faire du conseil sur ce type de fonds. Ces restrictions pèseront sur l'activité des sociétés de gestion qui se voient privées d'une source de souscription importante que sont les banques. De même, ces sociétés de gestion, souvent filiales de banques, enregistreront une baisse de leur revenu et par ricochet celui de leur maison mère. Les banques américaines peuvent légitimement s'interroger sur l'intérêt ou pas de conserver une activité de gestion. Quant aux banques étrangères touchées par cette loi, quitter le marché américain peut être la solution. Peu de départs auront lieu, ce marché étant important et représentant parfois une part non négligeable dans le chiffre d'affaires consolidé. La Volcker Rule s'appliquant en 2012, le compte à rebours est enclenché. L'industrie doit faire entendre sa voix pour espérer faire bouger ses lois. Pour cela, elle devrait peut-être s'inspirer de Tim Geithner, secrétaire américain au Trésor, qui, sur le débat sur la directive européenne gestion alternative, n'a pas hésité à prendre sa plume et écrire aux autorités européennes pour leur faire part de son inquiétude sur le texte considéré comme « protectionniste et discriminant » pour son industrie. Et cela a marché puisque les Américains pourront vendre leurs hedge funds en Europe.

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